Chroniques

par michèle tosi

Présences Wolfgang Rihm – épisode 7
deux créations mondiales, signées Sivan Eldar et Marc Monnet

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 16 février 2019
le Quatuor Diotima crée "Solicitations" de Sivan Eldar au festival Présences
© léa girardin

Dans la pleine maturité de son art – le récent coffret Bartók paru chez Naïve ne saurait le démentir – le Quatuor Diotima, en résidence à Radio France [lire notre chronique du 7 octobre 2018], ménage ni ses efforts ni son énergie. Deux créations mondiales s’inscrivent au programme de son concert donné dans le cadre de Présences, affichant, une fois n’est pas coutume, une stricte parité compositeurs, compositrices.

Au commencement est l’effleurement, le souffle et la suspension. C’est avec la pièce de Sivan Eldar, Solicitations, création mondiale et commande de Radio France, que débute le concert, dans la fragilité et l’ineffable. La compositrice israélienne privilégie la zone aigüe des harmoniques – le premier solo du violoncelle est éloquent –, travaillant dans une sorte d’infra-saturation (elle a étudié avec Franck Bedrossian) où l’étrangeté des couleurs et les sons fantomatiques jouant avec le silence tissent une dramaturgie secrète : « par des solos, duos, trios et quatuors, l’ensemble échange des mots comme des gestes » précise Eldar [photo] dans sa note d’intention. Avec la scénographe Aurélie Lemaigne, elle imagine une stylisation des regards des interprètes à la fin de la partition, comme si chacun suivait la trajectoire du son de l’autre... Excellents musiciens, les Diotima ont également de vrais talents scéniques !

Pour son Quatuor à cordes n°9, seconde création mondiale de la soirée, Marc Monnet entend faire différemment des précédents et veut surprendre « par des tensions inattendues » : en donnant à chanter au soprano Élise Chauvin des textes de Charles Nodier extraits de son Dictionnaire raisonné des onomatopées. Pas de message formulé donc, mais des phonèmes et des couleurs que la chanteuse ajoute à celles du quatuor. Elle n’intervient pas dans le premier mouvement, secoué de forts contrastes, mais laisse tomber son crayon dans le silence, indice peut-être d’une dramaturgie sous-jacente. La voix a des accents âpres et sauvages, proches du cri, soutenus par des archets vindicatifs dans le second volet. Les sept parties qui se succèdent sont autant de scènes balançant entre une certaine violence qui exacerbe la tension et un climat plus apaisé, voire mystérieux. Le final quasi delirando, d’une grande instabilité, regarde vers Berg et son opéra latent. Les Diotima en sont, là encore, les parfaits acteurs.

Unbreathed (2017) est la seconde pièce à l’affiche de Présences de la Britannique Rebecca Saunders, élève de Wolfgang Rihm, précisons-le, et absente, elle aussi, de ce festival [lire notre chronique de crimson]. Le geste puissant et obstiné à l’œuvre dans la première partie de la pièce pétrit le son et en projette les déploiements spectraux, via une exploration obsessionnelle de la matière menée jusqu’au seuil du processus. Celui-ci s’inverse dans la seconde partie, longue phase de détente aux trajectoires plus souples, aux courbes alanguies, aux sons glissés et inévitablement dépressifs. La qualité plastique de la matière et la richesse des couleurs qui s’entendent sous les archets des quartettistes, applaudis à l’été dans cet opus au festival Klangspuren Schwaz [lire notre chronique du 9 septembre 2018], forcent l’admiration.

On passe de l’élève au maître avec Fetzen (Fragments) de Wolfgang Rihm (1999-2004), huit miniatures pour quatuor et accordéon où les mêmes termes de véhémence et d’obstination viennent à l’esprit. « Avec le quatuor, il faut lutter méchamment et amoureusement » dit le compositeur allemand, donnant à entendre une matière hérissée (accents et claquements de pizz’ Bartók), énergétique et foisonnante, magnifiquement habitée par les cinq interprètes. Rihm cherche l’organicité du son entre archets et accordéon, les aigus liminaux de l’un rejoignant les fins harmoniques des autres. Étrange est ce court fragment du 3 où les deux violons, munis de sourdines de plomb, jouent dans le sillage de l’accordéon de Teodoro Anzellotti comme pour en prolonger la trace. Le dernier fragment – Moment, pourrions-nous dire, au sens où l’entend Stockhausen – fige la matière déjà entendue où s’inscrivent quelques citations fugitives. Ainsi se referme le neuvième concert Présences [lire nos chroniques des 1, 2, 4, 5 et 6], avec le même frémissement qui l’avait débuté.

MT