Chroniques

par laurent bergnach

Quatuor Arditti – L’Instant Donné
Mexique, musique d’aujourd’hui

Festival d’Automne à Paris / Amphithéâtre Bastille
- 18 novembre 2011
le compositeur Mario lavista
© dr

On le sait : l’ingérence de notre gouvernement dans la justice rendue outre-Atlantique l’hiver dernier, puis les conditions posées par un président de la République sans grande diplomatie – « que chaque officiel qui aura l'occasion de prendre la parole au cours de ces manifestations commence par parler de Florence Cassez [1] » – n’ont pas permis à l’Année du Mexique en France de se mettre en place d’une façon sereine, le pays invité ayant fini par se désengager avec une fierté bien compréhensible. Parmi les projets qui ont abouti malgré tout, beaucoup concernent la musique. Le Festival d’Automne à Paris, en particulier, a proposé plusieurs rendez-vous en octobre, avec les ensembles Son de madera, Camperos de Valles et Los Cardencheros, – respectivement spécialistes du son jarocho (genre traditionnel de l’État de Veracruz), du son huasteco (violon, guitares et falsetto) et des polyphonies à trois voix –, les chants et incantations portés par Maria Licanchitom et Maruch Mendez ou encore la musique de salon défendue par le pianiste Raúl Herrera (Carrasco, Castro, Ponce, etc.).

Dans un amphithéâtre d’une température bien peu tropicale, la soirée consacrée à la musique d’aujourd’hui commence avec la pièce la plus ancienne, puisque c’est en juillet 1984 que le Cuarteto Latinoamericano créait Reflejos de la noche de Mario Lavista (né en 1943) [photo]. Élève en Europe de Marie, Pousseur, Stockhausen, Boulanger et Caskel, ce natif de Mexico explore d’abord l’improvisation et l’indétermination avant de s’intéresser aux timbres. Il n’est donc pas étonnant que sa deuxième livraison pour quatre cordes, évoquant les reflets et la nuit, convoque une texture harmonique, dans un flux et reflux traversé de glissandi qui engendre lentement palpitations et pulsations. C’est un travail magnifique qui donne envie de découvrir ses autres essais dans le domaine (on songe aux six quatuors enregistrés, tout dernièrement, par Toccata Classics).

Élève de Lavista venu étudier lui aussi à Paris, Jorge Torres Sáenz (né en 1968) se nourri de philosophie et d’esthétiques orientales (thèse sur Takemitsu). « Il faut […] se rendre compte, déclare-t-il, qu’aller toujours de l’avant n’est pas nécessairement la solution » ; cette affirmation résonne après notre découverte de Por entre el aire oscuro (2003), créé au Festival de Zacatecas (Mexico), à une époque où « la corrélation ou la coexistence entre l’image poétique et les sensations acoustiques » intéresse ce deleuzien. Omniprésente, une clarinette lyrique se détache de cordes très Seconde École de Vienne, avant qu’une seconde partie offre des solos sans archet au violoncelle et à l’alto. Moins nostalgique s’affirme Cicatrices de luz (2009), après l’entracte, où la clarinette de Mathieu Steffanus délaisse les Arditti pour des membres de L’Instant Donné – flûte, violon, alto, violoncelle et accordéon, lequel oscille entre mugissements graves et aigus d’orgue électronique avant de devenir moins monochrome (Ritornello). Malheureusement, là encore, la pièce déçoit à mesure qu’elle se déroule.

Troisième créateur défendu par le quatuor britannique ce soir, Hilda Paredes (née en1957) – Londonienne depuis plus de trente ans, mais gardant des liens professionnels avec le pays où elle apprit le piano et la flûte – est fêtée cet automne à Paris [lire notre chronique du 19 septembre 2011]. Sensible aux langues (comme le maya, dont son grand-père parlait un dialecte), la compositrice s’inspire de la poésie du Canadien Pedro Serrano et du Chilien Vicente Huidobro dans ses pièces les plus récentes. Pour ses mouvements peu contrastés, Tres Canciones lunáticas invite le contre-ténor Jake Arditti à des phrases amples et vigoureuses dont beaucoup se finissent susurrées, dans le médium. Création mondiale d’une demi-heure, « Altazor décrit une chute en parachute. Au cours de la chute, la conscience et le langage se défont peu à peu pour se dissoudre dans une bulle de sons ». James Weeks dirige L’Instant Donné et le baryton Guillermo Anzorena, aux expressions variées (vigueur, lassitude, onomatopées finales, etc.), qui rencontre régulièrement sa propre voix préenregistrée.

LB

[1] petite amie Lilloise d’un chef de gang mexicain condamnée à soixante ans de prison, coupable pour certains de complicité dans des enlèvements et séquestrations avec tortures psychologiques, victime pour d’autres d’un « montage policier » (Michèle Alliot-Marie).