Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Anastasia Terenkova

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 27 janvier 2015
la jeune pianiste russe Anastasia Terenkova joue Bach à Paris (Musée d'Orsay)
© michaël terraz

Ouvert il y a deux mois par un fort beau concert de Damien Guillon et son Banquet Céleste [lire notre chronique du 13 novembre 2014], le cycle Back to Bach, proposé jusqu’au 10 février à l’Auditorium du Musée d’Orsay, s’est poursuivit par de nombreux rendez-vous chambristes ou en solo dont, s’agissant de la musique de Johann Sebastian Bach, les récitals pianistiques firent une large part. Ainsi, après Maurizio Baglini [lire notre chronique du 9 décembre 2014], Adam Laloum, Gaspard Dehaene et Madoka Fukami est-ce la jeune musicienne russe Anastasia Terenkova qui nous emmène aujourd’hui dans l’univers particulier du maître allemand, volontiers transcripteur et lui-même abondamment transcrit.

Commençons en compagnie du grand pianiste et chef d’orchestre ukrainien Alexandre Ziloti qui étoffa le Prélude en si mineur BWV 855. Anastasia Terenkova le livre en un son moelleux, velouté par une pédalisation judicieuse. La tendresse caressante de la basse respire délicatement l’arpeggiando, un rien différé. À peine un rubato un peu trop copieux vient-il retarder la conclusion. De l’érudit vénitien Alessandro Marcello, Bach s’est saisi de la musique, mettant ses dix doigts dans plusieurs concerti, dont celui en ré mineur pour hautbois et cordes, désormais plus célèbre dans sa version pour clavier. La relative sécheresse de son premier mouvement surprend. Pourtant, l’évidente clarté est ici salutaire, à la faveur de figures ornementales proprement exquises. L’Adagio médian renoue avec la tendresse du Prélude précédent, subtilement « mouillé », mais encore avec cette tendance de l’artiste à un rubato affecté. À l’inverse, on admire la maîtrise des piqués-lourés du dernier épisode.

Si l’on connaît bien Wilhelm Kempff pour ses inimitables interprétations du répertoire, on sait moins qu’il composait lui-même et réalisa plusieurs transcriptions pour piano d’œuvres de Bach destinées à un autre effectif. D’entre elles, la Sicilienne de la Sonate pour flûte et clavier en mi bémol majeur BWV 1031 demeure la plus présente au concert. La nuance et le fin travail de définition des différentes frappes rehaussent le phrasé subtil de Terenkova dans sa lecture sensible de cette pièce. Mais gare au rubato, encore !

Sans conteste le plus célèbre transcripteur de Bach fut-il Ferruccio Busoni. Aussi retrouve-t-on l’émouvant choral Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ BWV 639 qui emprunte à l’Orgelbüchlein. Dans un élan serein, point trop lent, l’interprète conduit une méditation généreuse, voire fervente, qui se garde d’appuyer les graves busoniens – c’est là un très beau moment de ce concert de midi trente. En 1900, l’Italien portait au piano une importante pièce d’orgue, la Toccata, adagio et fugue en ut majeur BWV 564. Nous en entendons l’Adagio dans une opulente résonance de voûte gothique.

Afin de les jouer dans l’intimité d’un salon plutôt qu’à les entendre par un orchestre, le jeune Sergueï Rachmaninov a réduit pour son instrument (doublé ou joué à quatre mains) quelques œuvres d’envergure, comme la Symphonie en ut mineur Op.58 n°6 de Glazounov ou le ballet La belle au bois dormant de Tchaïkovski, entre autres ; plus tard, il sacrifia à l’exercice afin d’épicer de petits joyaux ses propres récitals. Entre des miniatures tirées de Schubert, Moussorgski, Rimski-Korsakov ou Kreisler, nous trouvons trois des sept mouvements de la Partita pour violon en mi majeur, BWV 1006 n°3 de Bach, dans une version datée du début des années trente. Quelle merveille de relief ! Anastasia Terenkova cisèle remarquablement le Prélude, résolument Rachmaninov, nuance jalousement une Gavotte joueuse au demi-sourire distant, et livre une Gigue brillante, virtuose, parfaite.

Les Italiens par Bach ou Bach par d’autres, c’est passionnant, mais « Bach tout court » n’est pas mal non plus… Ce programme alternait avec un opus « de première main » : la Suite anglaise en sol mineur BWV 808 n°3. Régulier, sans nerf ni chaos, le Prélude du premier confirme une imparable maîtrise, suivie de l’onctueuse fluidité de l’Allemande dont l’artiste décline d’autres affects la reprise, d’une Courante toute en douceur et d’une énigmatique Sarabande, très intérieure ; la nudité de la Gavotte absorbe l’écoute, avec sa Musette en halo lointain – voilà une expressivité fort élaborée ! La lumière de la Gigue séduit l’auditoire.

Ultimes rendez-vous de ce cycle : Café Zimmermann explorera Das wohltemperierte Klavier au quatuor à cordes, le 3 février, avec des pages d’Haydn et de Mozart, et conclura le 10 avec des pages originales de Johann Sebatian.

BB