Chroniques

par marc develey

récital Cathy Krier
œuvres de Janáček et Schubert

Théâtre des Bouffes du nord, Paris
- 9 décembre 2013
la jeune pianiste luxembourgeoise Cathy Krier au Théâtre des Bouffes du nord
© dr

Quinze notules folkloriques en ouverture de programme, lestes ou champêtres, quelque chose d’une valse amusée, parfois, et là, une pavane délicatement funèbre : ce sont les Quinze Chants populaires de Moravie, petite tranche de paysage ethnomusicologique que Leoš Janáček publiait en 1922. Les titres évoquent l’amour ou les paysages, la mort aussi. Cathy Krier en sert les mélodies d’une pâte ronde bien qu’assombrie de résonances – certaines appoggiatures s’en émeuvent, qui s’en vont se cacher loin sous le moelleux dais du son.

La Sonate 1.X.1905 exige une autre densité de jeu. Ses contrastes impérieux et emportés, la rigueur hiératique de ses forte et ses moires menaçant sans cesse de saturer un espace mélodique haché requièrent une présence que la pianiste, manifestement tendue, peine à fournir. De belles descentes debussystes et une conscience opératique ne font pas oublier, du premier mouvement – Předtucha (Pressentiment) – le souffle parfois un peu court. Il se fera même difficile en partie centrale du second – Smrt (Mort) –, les fortissimi éperdus absorbant trop de la capacité d’expression. On le regrette : sans pour autant se montrer poignantes, les mesures initiales dessinaient un paysage désolé dans de très convaincantes résonances pianissimi.

Dans les brumesest abordé avec plus de bonheur. Manifestement, Cathy Krier y est à l’aise, sa présence fluide dans l’Andante aux glissandos chantants nous y introduit avec assurance. Y font place les contrastes d’un Molto adagio alternant des traits d’un Bach informé de robustesses expressionnistes, avec quelque chose d’une danse heureusement gauche. Et si quelques raideurs de pédalier nous font moins apprécier le Presto final, l’Andantino résonne de quelque délicat écho de Lied, assume parfaitement ses forte et s’achève en un touchant piano.

La seconde partie du récital est consacrée aux Drei Klavierstücke D.946 de Franz Schubert. Nous passons à côté de la rencontre ; peut-être ne s’est-elle pas faite, peut-être désirions-nous ailleurs et n’avons-nous pas su écouter. Sans être disgracieux, le jeu nous semble tendu. Le rubato un peu trop marqué fait au Lied un contrepoint émotionnel maniéré qui en disperse l’émotion. La basse schubertienne est comme déconnectée de l’intention du chant, et les nombreuses anaphores du texte ne sont décidément pas habitées. On s’y perd parfois, et, peut-être, la pianiste elle-même. Et pourtant, on entend quelque chose d’autre, dans ce piano-là, de moins convenu, de plus chantant, de plus résolu dans l’inventio : telle mesure morendo, tel perlé, tel rêve perdu dans l’à-plat non encore pensé d’une répétition. Nous gardons la sensation d’autres possibles. Leur actualisation sera pour une autre fois. Nous l’espérons.

MD