Chroniques

par david verdier

récital Elisabeth Leonskaja
œuvres de Mozart, Schubert, Schumann et Tchaïkovski

Piano**** / Salle Pleyel, Paris
- 3 avril 2013
Elisabeth Leonskaja joue Mozart, Schubert, Schumann et Tchaïkovski
© dr

Remplaçant au pied levé Nelson Freire, tenu éloigné des scènes par des soucis de santé, Elisabeth Leonskaja prolonge son séjour à Paris pour offrir, avec trois mois d'avance, un récital romantique dans la plus pure tradition de la série Piano****.

C'est d'emblée une autorité souveraine qui saisit l'auditeur, un toucher qu'on déshonorerait à réduire à cette aporie de la main de fer dans un gant de velours mais dont il faut pourtant saluer la densité et la puissance d'airain. La fausse modestie de la Sonate en fa majeur K.332 de Mozart y gagne des accents beethovéniens entre bon aloi et densité tellurique. Les arpèges de l'Allegro sont saisis en furtives grappes de notes, sans autre arrière-pensée que de se fixer comme cible à atteindre la production d'un son net et charpenté. La parenthèse très pure de l'Adagio est confondante de beauté, tandis que le côté chien fou de la ritournelle conclusive fait de l'Allegro assai un moment virtuose.

En enchaînant quasi immédiatement les Papillons Op.2 de Schumann, Leonskaja adresse un message de sobriété à un public toujours prompt à manifester son enthousiasme au détriment de la concentration de l'écoute. Ces douze esquisses crayonnées exigent une agilité plus spirituelle que digitale. C'est pourtant la puissante dimension articulatoire de l'instrument qui domine l'interprétation. Le fondu chromatique de Radu Lupu – entendu il y a deux ans dans cette même salle – occupe encore nos pensées. La franchise de ton et la puissance des enchaînements ne remplacent pas la rêverie obsédante qu'on aime à y trouver.

La Sonate en la mineur D437 de Schubert pèche également par une impétuosité un peu dure, une implacable agogique au service d'une sonorité à la fois raffinée et cartésienne d'approche. C'est encore l'ombre du maître de Bonn qui semble planer sur ces pages d'une rare intensité poétique, lointain reflet du noir miroir de la mélancolie. Les montées de gammes sont finement martelées, avec ce peu d'élan dans le poignet qui en souligne volontiers le poids. L'Allegretto quasi andantino présente un séduisant tressage de thèmes variés sur le mode de la marche. L'Allegro vivace est négocié avec un art du legato comme saisi dans une lumière entre chien et loup – un Schubert qui fronce volontiers le sourcil, comme happé par ses pensées.

La Grande sonate en sol majeur Op.2 de Tchaïkovski occupe à elle seule toute la seconde partie. Cette quasi demi-heure de musique composée en l'espace de deux mois, en 1878, est une œuvre indéniablement vaste et difficile. L'expression pianistique y confond souvent langueurs et longueurs, ce qui donne une impression d'ensemble assez confuse. À défaut de séduire totalement, on peut dire que cet étouffe-chrétien de notes et d'affects trouve en Leonskaja une interprète idéale – capable en tous cas de dissoudre la pesanteur esthétique en un noble continuum harmonique. Le thème et variations de l'Andante non troppo quasi moderato se détache aisément d'un ensemble dont les exigences techniques récompensent assez peu l'écoute.

On a souvent envie pour les bis d’un moment où l'interprète se libère et se révèle à la fois. Trois « cartes de visite » sont offertes aujourd’hui, à commencer par un troisième mouvement Rondo-Allegro de la Sonate en ut mineur « Pathétique » Op.13 n°8 de Beethoven. Les ciels d'orage alternent avec des périodes souriantes ; il faut voir comment la pianiste russe s'empare de la vibration de l’instrument dans les accords staccato… Changement d'univers avec Feux d'artifice de Debussy ; l'éclat acidulé des crépitements de notes dialogue malencontreusement avec la ridicule sonnerie d'un portable. Entre soupirs d'exaspération et cris d'effroi, la pianiste russe paraît s'amuser de la situation sans s'interrompre. Pour réconcilier l'auditoire, Leonskaja adresse un ultime adieu sur les ailes du Nocturne Op.27 n°2 de Chopin : aux balancements lancinants de la main gauche répond le chant éperdu et vif de couleurs. La dame en noir revient en juin dans un programme Ravel, Enesco, Debussy, Schubert. Rendez-vous est déjà pris.

DV