Chroniques

par françois cavaillès

récital Gaspard Thomas
pièces de Brahms, Chopin et Mozart

Festival de Saint-Céré / Château de Montal
- 4 août 2020
Au Festival de Saint-Céré, Gaspard Thomas joue Brahms, Chopin et Mozart
© dr

Le grandiose et le pittoresque du Château de Montal, de la campagne du Quercy et du bleu l’immuable du ciel sont aussi ceux du pianiste Gaspard Thomas, invité à la hauteur du valeureux Impromptu Festival 2020. Fidèle au rendez-vous lotois pour le quatrième été consécutif, l’élégant jeune homme de vingt-trois ans en a fort bien saisi l’esprit. Il présente un récital romantique, maîtrisé et généreux, en faisant découvrir au public, avec une belle confiance, des œuvres rares de très bonne source.Virtuose et altruiste pilier de Saint-Céré, L’excellent hôte ne commande rien et semble plutôt en appeler à la sensibilité et à l’intelligence communes pour amener encore plus loin l’auditoire dans l’art et dans la vie.

Pareille sincérité apparaît spontanément avec Mozart, par un opus peu connu. Les Variations en ré majeur sur un thème de Duport K.573 furent composées en 1789 à partir d’un menuet populaire, mais insipide, dans le but de s’attirer d’urgence l’attention d’un employeur. Peine perdue... Mais sous les doigts de Gaspard Thomas, le thème, limpide, perd de sa rigidité et s’envole joliment, gagné par un tempo clair et un habile jeu de volumes. L’aspect scolaire et peu inspiré de cette aimable risette saute sous l’impulsion gaillarde d’un pianiste qui porte haut le plaisir de dynamiter les banalités. Roulement vertigineux, sonnante exclamation, transition musclée et, tandis que la main droite sautille et règne sur le clavier, dans l’étouffement à travers tant de notes piquées, nous voici conduits à la distension libératrice, l’harmonie nouvelle, vers l’Adagio cristallin comme un glas. Cette bouffée de mélancolie, proche de la torpeur, provient d’un surcroit d’expressivité. Le jeu d’équilibre et le lyrisme révèlent des plaisirs d’écoute insoupçonnés jusqu’à l’apparition d’une variation à la gravité poignante. Puis, par un détour de forte vivacité et de pertinence tonique, le clavier est finalement laissé au repos.

Applaudi, l’interprète emprunte à Chopin le Nocturne en mi bémol majeur Op.55 n°2, morceau d’évasion à l’ample introduction, circulant à travers une peine sourde et l’épanchement de la mémoire. Le second souffle est pris très vite, avec la Valse en la bémol majeur Op.42, née d’un contraste riche et net qui s’élance ensuite avec largesse et fantaisie pour ravir les âmes par l’alternance irrésistible entre propulsion fort accélérée et admirable retour au pas... afin de mieux valser, tout simplement. L’œuvre de Chopin danse, nous rappellent les Mazurkas en la bémol majeur Op.59 n°2, fière et cambrée, et en fa dièse mineur Op.59 n°3, plus complexe, dont le plaisir, selon Liszt, « ne cesse jamais d’être veiné de mélancolie ».

D’avoir tant accompli pour le piano sans même atteindre les quarante ans, le musicien polonais épate largement les cinq générations suivantes. Sa Barcarolle en fa dièse majeur Op.60 induit toujours divinement la plongée dans le romantisme. Dans l’écume et les remous, après des méandres déroutants, puis une saine mélodie, un instant de ressac et un clair de lune, le mélomane peut croire, plus que jamais au retour de la musique vivante, au voyage immobile. L’esprit rêveur, nul n’a bougé à l’exception Gaspard Thomas, salué par de solides clameurs.

Sous les étoiles, le récital reprend avec Johannes Brahms et ses Variations en si bémol majeur sur un thème de Händel Op.24 – un sommet du genre où suivre le jeune pianiste dans un souterrain en vingt-cinq métamorphoses. À l’entrée, comme au matin dans l’air frais de la rosée, l’oeil brille et l’on sourit à l’écoute du thème composé par le Saxon en 1733, pour le clavecin des filles du prince de Galles. Le jeu alerte de l’interprète se pare d’une même fraîcheur. Le mouvement s’élargit et s’accélère dans l’animato suivant. Les premiers passages sont pris dans un bonheur continu, même avec un temps d’arrêt marqué avant la variation dolce et scherzando, d’une douceur romantique, puis en marche heureuse vers le fracas ordonné du robuste risoluto. À peine un silence avant l’apaisement du bref retour au thème. Passe comme une ombre mystique et, sans confusion ni surprise, l’attaque en canon n’en est que plus vive. Avec le même sérieux, de violents à-coups font entendre de beaux échos. On apprécie la finesse du capriccio, à l’orée du moderato sobre et chaloupé. Dans son expression fractionnée, l’œuvre de Brahms laisse tant d’impressions qu’à la fugue finale, cette pièce de résistance du récital réaffirme notre attachement à la sensibilité, l’émerveillement et l’art. En étonnant bis se révèle le flamboyant du tango Palomita blanca d’Anselmo Aieta, avant de conclure par l’Intermezzo en si bémol majeur Op.76 n°4 de Brahms, grave et svelte.

FC