Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Ilia Rachkovski
œuvres de Bach, Granados, Prokofiev et Rachmaninov

Conservatoire Rachmaninov, Paris
- 14 avril 2005
le jeune pianiste russe Ilia Rachkovski en récital au Conservatoire Rachmaninov
© agence #

Le salon du Conservatoire Rachmaninov invite à la découverte d’un jeune pianiste russe, Ilia Rachkovski, lauréat du Concours Long-Thibaud il y a trois ans (deuxième Grand Prix). Né en Sibérie en 1984, il étudie très tôt la musique et donne son premier concert en 1992 avec l'Orchestre de Chambre d'Irkoutsk, avant de gagner les bancs du conservatoire de Novossibirsk. Parallèlement au perfectionnement de son art à Moscou et à Hanovre, les distinctions internationales vont se succéder rapidement : Marsala en 1994, Kharkov en 1997, Marguerite Long -Jacques Thibaud en 2001, Valsesia 2003, et Jaén cette année.

Si vous voyez entrer en scène un jeune homme au regard doux et au sourire discret, ne vous y fiez pas forcément : il ouvre son récital par un Concerto nach italienischem Gusto BWV 971 de Bach fort engagé dans le son, ne lâchant pas une fois le clavier. Hugo Wolf compare Ferenc Liszt et Anton Rubinstein, pianistes ayant tous deux « la preste agilité du félin », dans sa chronique du Wiener Salonblatt (6 avril 1884) : le premier, la main légère, le buste assez distant du clavier, et promenant le regard partout ailleurs, est « un lion qui joue avec sa proie » ; les yeux plongés dans le piano, la main comme accrochée dans les touches et le corps rapproché de l'instrument, le second est « un tigre qui prend sa proie à la gorge ». La formule, si raccourcie soit-elle, demeure encore aujourd'hui tentante pour décrire en peu de mots les écoles russes et hongroises de piano. De fait – partant qu'il ne nous a naturellement pas été donné d'entendre les qualités de ce Rubinstein-là au concert ! –, la comparaison pourrait bien n'être pas trop élogieuse pour donner une idée du jeu d’Ilia Rachkovski. Afin de préserver le moelleux du son avec lequel il aborde l'Andante central, il articule à peine la basse rythmique obsédante, un peu fondue, dans une interprétation qu’on entend à l'opposé des recherches imitatives d'un Tharaud, par exemple. Ce parti-pris classique parfaitement assumé entretient une fascinante régularité pour le Presto où il développe une accentuation judicieuse.

Avec la Sonate en si bémol majeur Op.84 n°8 que Sergueï Prokofiev composa durant les années de guerre, Ilia Rachkovski construit un tout autre type de sonorité. Il aborde le long premier mouvement – divisé en deux parties (Andante dolce et Allegro moderato) respectivement constituées de trois et cinq tempi, tel un montage cinématographique de courtes séquences – en portant très haut la phrase, dans une respiration ample soutenue par une excellente gestion de la pédalisation. Malheureusement, ces beaux efforts sont vite limités par un instrument proprement désastreux qui ne tient pas l'accord et dont le grave est mort depuis longtemps. Il parvient toutefois à faire chanter ce qu'il reste des autres registres, offrant des passages d'une fluidité déconcertante et d'autres où la percussivité requise est bien de la partie. Diversifiant les plans sonores tout en soignant le phrasé, le musicien offre un Andante sognando que le piano ne lui permet guère de colorer, et révèle un ambitus d'intensité fort intéressant dans le Vivace.

Comme pour permettre au public de reprendre souffle dans un programme généreux, Rachkovski joue ensuite Quejas o La maja y el ruiseñor, extrait des Goyescas d’Enrique Granados. On lui trouve une légèreté inattendue qui laisse présager un artiste aux grandes possibilités expressives. Encore nous plonge-t-il enfin dans la terrible déferlante avec laquelle s'annonce l'éprouvante Sonate en si bémol majeur Op.36 n°2 que Rachmaninov écrivit en 1907 et qu'il révisa en 1913. Quelle énergie, dans l'Allegro agitato ! Il ménage une fort belle amplitude chorale au mouvement central et se lance dans la dernière tourmente de l'Allegro molto avec un engagement total, parfois nerveux, qui fait aussi le charme naïf de son interprétation fulgurante.

Pour sûr, nous en reparlerons…

BB