Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Isabelle Druet
romances et mélodies françaises

Le salon romantique / Palazzetto Bru Zane, Venise
- 21 février 2010
le mezzo-soprano Isabelle Druet chante la romance française à Venise
© michele crosera

Si les activités du Centre de musique romantique française affirment leur rayonnement à travers de nombreuses coproductions dont témoigne aisément le paysage musical de l’hexagone, avec la reprise du concert de quatuors à cordes, hier après-midi, dans un salon du fastueux palais Montanari de Vicence, c’est également avec les institutions italiennes que le Palazzetto Bru Zane entend développer des partenariats réguliers. Aussi son équipe y travaille-t-elle passionnément, dans une efficacité et un enthousiasme mêlés d’une bonne humeur des plus communicatives.

Retour à Venise, pour un programme de romances et de mélodies, de ces œuvrettes – entendre pièces brèves, rien de dépréciatif – tout exprès conçues en leur temps pour être données dans les salons, le dimanche après-midi. On n’aurait su mieux faire… Aujourd’hui, le soleil s’est montré, l’aqua n’est plus alta ; la remarque dépasse l’anecdote lorsqu’on aura observé que les vers chantés là, pour rêver un peu, garde fermement les pieds en terre (pour ne pas dire dans l’eau).

D’emblée, disons-le : il faut absolument se rendre à l’Opéra Comique (Paris) pour goûter la reprise de ce récital (les 26 février, 2 et 4 mars, à 13h), tant il est certain qu’il y sera dispensé un plaisir sans ombrage. Il n’est pourtant pas si facile de raconter en quelques strophes accompagnées d’un piano une histoire qui ne lasse pas, quelquen soit le thème. Isabelle Druet s’y entend à merveille, autant dans les pages de musiciens attendus que dans celles d’auteurs oubliés. À ses côtés, Stéphane Jamin plante le décor, peaufine les toiles peintes, éclaire l’imaginaire musical.

Gounod, d’abord, avec cinq pièces qui alternent judicieusement les caractères. Venise, bien sûr, l’Où voulez-vous aller ? de Gauthier qui inspira également Berlioz, Absence et sa tendresse douloureuse, le plus prévisible Ô ma belle rebelle et Boléro dans lequel le mezzo-soprano fait sa Carmencita. Pédalisant intelligemment, le pianiste n’hésite pas à colorer cette musique plus qu’on s’y attendrait, posant précisément les climats avec la complicité d’une chanteuse à la présence immédiatement prégnante. Chaudement timbrée, cuivrée dans l’aigu, avantageusement impactée sur toute la tessiture, cette voix, fort agile dans les ornements et vocalises, nuance son chant qu’elle soumet à une diction exemplaire, une accentuation soigneusement choisie du texte, conséquence bénéfique de la pratique baroque.

Bizet, aussi, avec Les adieux de l’hôtesse arabe, plus directement théâtral, y compris dans l’accompagnement, délicatement assujetti à la prosodie. Saint-Saëns, bien sûr, avec L’attente, donnée dans une urgence haletante, et Plainte, désertique, qui succèdent à une interprétation vigoureuse de l’Allegro Op.70 au clavier, dans un jeu gentiment ciselé. Enfin, Rossini, grand Lutécien d’Italie, et sa drôle de triste Orpheline du Tyrol qui invente un sympathique bel canto yodleur ! Voilà pour les célébrissimes.

Connaissez-vous Béranger, Beauplan et Berton ? Compositeur et violoniste, issu d’une famille de musiciens, le Parisien Henri Montan Berton (1767-1844) fut élève de Sacchini, tout en ouvrant grandes ses oreilles à la musique de Paisiello. Les Promesses de mariage, son premier opéra (du genre comique), fut donné pour ses vingt ans. Quatre autres ouvrages lyriques gagneront la Comédie Italienne durant les trois années suivantes ; c’est dire son succès. Il serait avant tout un musicien de théâtre, comme le confirment à la fois ses nombreux opéras et les responsabilités qui lui furent confiées. C’est une romance larmoyante que nous découvrons de lui, cet après-midi : Les adieux de Jane Gray.

Si Amédée de Beauplan (1790-1853) sacrifie au même genre avec J’ai peur, il fait florès dans une veine plus légère. Ainsi de Savoir attendre, contant la hargne amoureuse d’une gamine et les sages conseils d’une grand’mère à l’ancienne mode, personnages qu’Isabelle Druet construit vocalement par des riens délicieux, tout en intervenant en direct (je veux dire avec sa voix) en narratrice. Le bonhomme, pourtant, n’a pas commencé sa vie par des rires, avec un papa mangé par la machine de Guillotin…

Et c’est avec une truculente romance, Les Cinq Etages, que s’achève cette heure de chant. Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), chansonnier alors populaire, poète pamphlétaire dont on connaît encore Le Roi d’Yvetot, Le petit homme gris, La cocarde blanche et Le Marquis de Carabas, pourrait bien faire figure d’ancêtre de la chanson réaliste. Les aventures d’une habile coquette et sa grimpée dans l’échelle sociale jusqu’à la triste intouchabilité concluent d’un rire ce récital à ne pas manquer.

BB