Chroniques

par marc develey

récital Luis Fernando Pérez
Albéniz, Liszt, Schumann et Wagner

Auditorium du Louvre, Paris
- 30 novembre 2011
récital Luis Fernando Pérez à l'Auditorium du Louvre
© dr

En ouvrant sa contribution au cycle Au fil de Liszt par deux séries de transcriptions et une pièce pour le moins brillante du compositeur hongrois, le récital Luis Fernando Pérez sert un romantisme aussi ciselé qu’assumé. Deux transcriptions de Schumann de 1848, Widmung, Liebeslied S.566/2 et Frühlingsnacht (Überm Garten durch die Lüfte) S.568 découvrent une palette délicate, alliant, sur une pédale charnue, de voluptueux legatissimi à l’emphase affectueuse d’un engagement tout lisztien. Portée par une micro-dynamique fort subtile, Frühlingsnacht va son amble dans une haute tenue sentimentale, portée par un jeu micro-dynamique et un rubato très « racés ».

Bien plus orchestrale, la transcription de la Mort d’Isolde (Isoldes Liebestod aus Tristan und Isolde, S.447 de 1859, révision de 1867) s’ouvre dans la souveraineté dramatique de son leitmotiv sur le roulis un peu inégal des graves. La lourdeur capiteuse des trilles le porte crescendo vers un lyrisme quelque peu monochromatique aux plans sonores anastomosés, histologie de grosse bête rêveuse en son agonie millénaire. Ce tour de force d’une somptueuse démesure, assumée dans sa sentimentalité même, s’achève extatique et retenu dans des aigus liquides.

Clôturait cette première partie de soirée l’échevelée Rhapsodie espagnole S.254 (1863). Inspirée à Liszt par les souvenirs de son voyage en Espagne et au Portugal de 1845, cette pièce d’une robuste technicité enchaîne les thèmes de La folia et de la Jota aragonesa dans cette forme labile qui lui vaut son nom. Succédant à la moire indécise d’un climat de merveilleux installé dans des accords liquides, le premier thème s’énonce dans la grande dignité de ses arrêts décidés. Les variations en conservent la gravité, dans un nuancier large et raffiné et la mouvance comme improvisée des intentions musicales. L’ornementation et les marches d’harmonie folles dessinent un espace dont la tendresse pas plus que le charme ne sont absents – mais bien l’humour, assurément. Quelques mignardises au suraigu marquent sans second degré le dernier retour quasi-récitatif du thème. Le second matériau est traité avec grand sérieux, dans un délire de virtuosité dansante et d’ornementation ivre. Le pianiste accompagne le mouvement d’une pédale un peu sèche et parfois percussive. Luis Fernando Pérez suit une partition qui sublime le cabotinage – esprit d’un temps dont Liszt fut un des bâtisseurs : on ne peut dire qu’il en fait trop, et s’il nous advient de sourire, c’est par contraste entre ce que fut le public et le goût d’alors, et celui de nos siècles vieillissants.

S’il n’étudia jamais directement avec lui, Albéniz fut toutefois vivement influencé par Liszt. Le choix de six pièces d’extraites d’Iberia en seconde partie de concert a donc quelque chose de tout naturel. Du premier livre, le pianiste espagnol interprète les deux premiers morceaux. Evocacion investit l’espace sonore dans la diction souple d’un rubato murmuré. D’une ouate ravélienne, le son soutient une belle rhétorique lyrique dans l’amoureuse précision de la touche et le capiteux des graves. Quelques f agressifs et de désagréables remontées de pédales ne brisent pas le charme de mesures s’en allant lentement rejoindre le silence, morendo. Les syncopes « jazzées » d’El Puerto font contraste à cette page énamourée. Des cuivres sonnent aux aigus jusqu’au délice de l’accalmie finale.

Le second livre est donné dans son intégralité.
Rondeña est charmante, avec ses sauts de carpes vives. Résonance de cloches lointaines et sonorité de cor bouché marquent un hiératisme soudain. La mélodie s’en vient mourir sans hâte jusqu’en cette dernière mesure presque humoristique. Avec un sens toujours aigu de la mélodie et de sa respiration dansée, l’instrumentiste délivre Almeria dans les teintes d’un riche instrumentarium. Ici, une berceuse se clôt d’un trait soudain de guitare ; là, moires orchestrales puis soli de basson ou d’orgue se disputent l’espace sonore dans une dynamique riche et un mp d’une délicieuse variété de caresse. Quelques imprécisions ici ou là (plus particulièrement dans les ff) rompent passagèrement la concentration sans qu’on manque à noter la suavité stylée des traits mélodiques : travail de poète tout autant que d’interprète. Dans un son plus sec qui n’exclut pas le velours, Triana s’impose plus joueur dans ses pizzicati et le babillage de ses croisés.

Tiré du troisième livre, enfin, El Albaicin, très ancré dans la syncope de son ostinato liminaire de guitare andalouse, diffuse d’abord quelque chose d’une atmosphère moussorgskienne. Les brumes aiguës au-dessus de la surdité des graves dessinent de lointains horizons fusionnés au ciel – c’est, là encore, grand travail de styliste. On en ressort comme enchanté.

Généreux, le pianiste nous offre trois bis : un Nocturne en ut dièse mineur Op.post. n°20 de Frédéric Chopin, au tactus mouvant et maniéré quoique non sans style, une pièce d’une belle émotion de Carlos Guastavino (compositeur argentin), et, dans un son d’abord volumineux, le Preludio des Cantos de España Asturias (Leyenda) –, dont la partie intermédiaire distille le climat superbe d’une méditation solaire traversée de résonances lointaines.

DV