Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Olga Guryakova
œuvres de Prokofiev, Rachmaninov et Schumann

Auditorium du Louvre, Paris
- 31 janvier 2007
récital romantique du soprano russe Olga Guryakova à l'Auditorium du Louvre
© olga fomina

C'est un menu copieux qu'offre le soprano russe Olga Guryakova. Elle ouvre son récital par le fort beau cycle mélodique opus 27 conçu par Sergueï Prokofiev à vingt-cinq ans (1916) sur cinq poèmes d'Anna Akhmatova. Dès Le soleil a empli la chambre, le phrasé généreux de la chanteuse envahit avantageusement l'écoute, tandis qu'une expressivité à fleur de peau révèle Souvenir du soleil. À la réalisation irréprochable des redoutables attaques aigues de la première partie du Roi aux yeux gris répond l'indicible moelleux de la pâte vocale des derniers vers. Au piano, Anna Rakhman ménage une couleur délicatement feutrée à La tendresse véritable, sachant également peindre les lumières intimes de Bonjour.

Sombre rêveur ayant fait art sa mélancolie, il paraîtra naturel que Sergueï Rachmaninov ait glissé ses secrets au sein d'un catalogue mélodique qui jalonne sa première période (de 1890 à 1916) ; il comprend douze pièces isolées et rien moins que sept cycles. Après avoir quitté sa Russie natale, dès 1917, le compositeur transférait son génie mélodique vers d'autres genres, comme si l'idéalisation nécessaire à la survie dans l’exil ne supportait pas l’approche frontale d'une tradition doublement perdue (personnellement, mais aussi au regard des modernités naissantes). Olga Guryakova déploie un lyrisme luxueux au service de Dans le silence de la nuit secrète, la troisième page de l'opus 4 (1890-92). Dans les couleurs orientalisantes du piano de Je suis amoureuse, le quatrième chant de l'opus 8 (1893), elle affirme la veine populaire du poème et soigne, dans la vocalise de la dernière strophe, un legatissimo d'une gracieuse sinuosité. Dans Sommeil, instantané emprunté au dernier cycle (1916, Op.38), sa présence s'impose dans une urgence remarquable, amenant logiquement un retour à l'opus 4 avec Oh, ne me chante plus dont elle fait un véritable mélodrame. Enfin, la véhémente prosodie tchaïkovskienne de la première mélodie de l'opus 14, Je t'attends (1894), rappelle ses excellentes incarnations de Tatiana et de Lisa. Lorsqu'on accompagne un interprète doté de tels moyens, inutile de se brimer : aussi apprécie-t-on le jeu plein de relief et de ferveur d'Anna Rakhman, qui profite ingénieusement de chaque ressort expressif de la partition.

Outre la qualité de la prestation, saluons la logique de ce récital : à partir de ce qui devrait nous être le plus proche (Prokofiev), temporellement, mais qui reste encore trop peu connu, donc en sollicitant au début toute l'attention encore fraîche de l'auditoire, Olga Guryakova recule vers le passé (Rachmaninov) puis vers la tradition (Schumann). Si quatre Lieder isolés (amuses-bouches placés là pour sculpter une matière capiteuse en prépareration de la suite). De Robert Schumann – Provenzalisches Lied Op.139 n°4, Stille Tränen Op.35 n°10, Aufträge Op.77 n°5 et Der Hidalgo Op.30 n°3 – ne convainquent guère, la chanteuse trouve ses marques dans Frauenliebe und Leben, le célèbre cycle Op.42 (poèmes de Chamisso). Là, la diction allemande se précise, la respiration se calme, l'opulence des moyens se canalise, l'artiste transmettant l'intimité du texte jusqu'en ses moindres replis.

BB