Chroniques

par françois cavaillès

récital Pumeza Matshikiza
James Baillieu, piano

airs de Bizet, Dvořák, Gluck, Mozart, Puccini, Ravel et Sarti
Philippe Maillard Productions – Les grandes voix / Salle Gaveau, Paris
- 6 avril 2016
Accompagnée du pianiste James Baillieu, Pumeza Matshikiza chante l'opéra
© simon fowler | decca

Quel rallye-papier que de suivre de nos jours un jeune soprano lancé dans une carrière à l'international, alors que revoici Pumeza Matshikiza à Paris dans un récital bigarré, moins de deux mois après une participation originale au festival de musique contemporaine Présences [lire notre chronique du 5 février 2016], encore fidèle à la Staatsoper de Stuttgart [lire notre chronique du 1er février 2016] et à la veille d'une petite tournée dans son Afrique du Sud natale avec le sirupeux Josh Groban !

Devant une bonne demie-salle, la soirée en compagnie de son compatriote James Baillieu au piano présente les airs d'un nouveau disque, à paraître dans un mois (Decca), et offre la première rencontre touchante, en tête d'affiche, avec une grande vedette en devenir (l'ange noir, pour oser un surnom ?). Dans un fourreau de soie incandescent, la gouffa très stylée, tressée, sur le côté, certes... mais à vrai dire le plus imposant est surtout l'aplomb et l'humour pour s'attaquer à Ravel et son Heure espagnole pleine de chausse-trappes. Si loin sans doute de son répertoire actuel, la chanteuse use d'un charme étrange à l'assaut de l'air de Concepción cruellement intitulé Oh ! La pitoyable aventure. De l'art de faire d'un difficile exercice de français un essai enjoué.

Dans les airs, le goût et la liberté de Pumeza Matshikiza laissent entrevoir un bel avenir, bien au delà du cap de Bonne-Espérance... Ainsi va aujourd'hui sa vie de cantatrice moderne, enveloppée dans un sourire amical. Dès l'entrée sur Giunse alfin il momento, l'air final de Susanna (Le nozze di Figaro), pureté de timbre, rondeur d'émission et rythme chaloupé dévoilent une voix tour à tour forte et douce. Impression double confortée en seconde partie de soirée, la fougue et l'esprit d'aventure domine Je dis que rien ne m'épouvante, fameux extrait de Carmen, tandis que vulnérabilité, délicatesse et savoir-faire ravissent les cœurs (masculins d'abord) à travers l'archi-convenu Puccini de conservatoire : les grandes arie de Turandot, Gianni Schicchi et La bohême.

Dans les détails du programme l’on remarque l'ange noir, figure protectrice de l'amour, sensible tout d'abord aux teintes de furie et de lamentation merveilleuse dans Chi fiero momento ! tiré d’Orfeo ed Euridice de Gluck [lire notre chronique du 31 mars 2016], puis au coup de foudre qui frappe cette nuit comme un amour trop beau pour être vrai, sublime instant lyrique perdu entre d'impossibles adieux ou promesses, au comble du romantisme : la cavatine Lungi dal caro bene, issue de l'opéra Le geliosie villane (1776) de Giuseppe Sarti (1729-1802), fonde alors l'éden de naissance de l'être fabuleux qui ensuite déploie ses ailes, voix et soie de rubis, et s'élève par le Chant à la lune, extrait de Rusalka (Dvořák) [lire nos chroniques du 3 avril 2015 et du 30 septembre 2010].

Avec, en guise de bis, une chanson traditionnelle de mariage des Xhosas, Qongqothwane ou The Click Song (sur les traces de Miriam Makeba), Pumeza Matshikiza accueille sur ses terres natales, dans l'éblouissement passager des clics de fin, un public séduit par une soirée spéciale, car également ponctuée d'interludes fort variés au piano – notamment Widmung, Lieder serein, ensorcelé et fatal de Schumann transcrit par Liszt, et le plus amer peut-être et non moins bouleversant Casta Diva de Bellini (Norma) arrangée par Sigismond Thalberg.

FC