Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Silva Costanzo
création de Due notturni con figura d’Ivan Fedele

Manca / Auditorium du CNR, Nice
- 2 novembre 2007
la pianiste italienne Silva Costanzo joue Fedele, Ligeti et Jolivet à Manca
© dr

Pour ouvrir cette nouvelle édition de son festival, François Paris, directeur du CIRM, a voulu rompre avec les habitudes implicites de ces manifestations : le plus souvent, elles inaugurent leur programmation par une grande soirée symphonique qui se veut prestigieuse ou la représentation d’un spectacle désigné comme festif. Rien de tout cela, puisque c’est devant un piano et quelques extensions impalpables que le public découvre Manca, dans la précieuse intimité de l’auditorium du nouveau conservatoire niçois.

Avec plaisir nous retrouvons la pianiste Silva Costanzo [lire notre chronique du 17 juin 2005 et notre critique du CD Jolivet, distingué d’une Anaclase]. Servant souvent la musique d’Ivan Fedele, c’est tout naturellement qu’elle alterne quelques-unes de ses Études boréales écrites en 1990 et de ses Études australes quidatent de 2003, promenant l’écoute à travers timbres et couleurs, tout en explorant des spécificités de jeu, de technique, de virtuosité, etc., dans un sens plus « classique ». Les appels comme suspendus de l’Étude boréale n°1 créent une sorte de nostalgie, bientôt contrastée par la véloce déambulation péremptoirement interrompue de l’Étude australe n°3. La redondance motivique de la Boréale n°3 interroge les énigmes d’une résonnance hypertrophiée, tandis qu’un nerf faussement incontrôlé accompagne le cantando paradigmatique de l’Australe n°4. Après la fluidité joueuse de l’Australe n°5 dont les contrastes de frappes et les confrontations dynamiques s’érigent en quasi orchestration, l’Étude boréale n°4, qui pince les cordes « à cru », invente des échos subtilement campanaires qui finissent ce moment dans une concentration qu’on dira « consolatrice ».

En intitulant ce récital Création et Hommage, c’est un mouvement – signe (plutôt que mot) sous lequel l’édition 2007 s’est placée – dans l’inventivité inépuisable de l’instrument qu’eplore la soirée, posant non seulement la question du piano d’aujourd’hui, mais encore celle du piano d’il y a cinquante ans, soit dans un aujourd’hui mis en situation par ce que l’on appelle Histoire.

En 1951, György Ligeti réalise Musica ricercata, un recueil de onze pièces qui sera créé près de dix-huit ans plus tard. L’interprétation de Silva Costanzo investit d’une tendresse toute personnelle ce corpus que les pianistes ont tendance à asséner plus violemment. Sous ses doigts, il révèle d’autres aspects. Une pertinente sècheresse sert la deuxième page, tandis que l’Allegro suivant se trouve rondement mené (dans tous les sens du terme). La sonorité s’avère souple, introduisant l’évidence de la Valse dans sa tragique infinitude. Une chaleureuse expressivité anime le phrasé du Lamentoso, contredite par un Caprice moins convainquant. Le redoutable ostinato de la septième pièce se pare d’un cantabile remarquable, fermement bousculé par la hargne dansée de la suivante. L’âpreté confondante du Bartók in memoriam et l’exubérance d’un second Caprice déposent les armes aux pieds du legato troublant de l’Omaggio a Frescobaldi qui, tout en posant la question évoquée plus haut, dissoutla fugueplutôt que de la résoudre, tout en douceur et recueillement.

Après ce Ligeti « première manière » – belle mise en regard à l’écrevisse de ce que son art deviendrait –, la seconde partie du récital plonge dans la contemporanéité la plus effective, avec la création mondiale d’une nouvelle œuvre d’Ivan Fedele. Due notturni con figura prend des allures de tableau d’un maître ancien, délicate vanité caressant Debussy (La cathédrale engloutie) et Crumb (Vox balenae) dont le cadre est dessiné par l’électronique – réalisation de Marco Ligabue, Roberto Neri et Simone Conforti à Florence, ici projetée par la Technique CIRM que commande Frédéric Prin. Usant d’un matériau pianistique volontairement limité qu’il explore avec une élégance allant de soi, le compositeur convoque un travail électronique discret et subtilement inventif dont l’indicible raffinement brouille toute notion de durée.

Une ouverture qui promet !

BB