Chroniques

par cecil ameil

récital Zoltán Kocsis
œuvres de Bartók, Beethoven, Debussy, Mozart et Schumann

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 15 décembre 2004
l'excellent pianiste hongrois Zoltán Kocsis, en récital au BOZAR (Bruxelles)
© dr

À cinquante-deux ans, le pianiste Zoltán Kocsis – qui fut un enfant prodige – est aussi chef d'orchestre et compositeur, même si son nom n'est pas nécessairement connu du grand public en Europe de l'Ouest. Pourtant, les qualités musicales du directeur artistique de l'Orchestre Philharmonique de Hongrie, qui enregistre depuis des années et se produit régulièrement, sont largement reconnues par ses pairs.

On pourrait penser que les nombreuses tournées et les charges auquel le Hongrois fait face ne lui donnent pas nécessairement tout le temps et l'énergie nécessaires à demeurer un pianiste accompli. Le récital qu'il donne ce soir à Bruxelles prouve le contraire.

Dans une succession quelque peu audacieuse de sonates de Mozart et Beethoven suivies de pièces de Bartók, Debussy et Schumann, Zoltán Kocsis s'attelle à un marathon de presque deux heures, toujours avec beaucoup de tempérament, voire une fougue surprenante. Sans conteste, son jeu évolue beaucoup au fil de la soirée.

La Sonate en ut majeur K.330 deMozart laisse immédiatement percevoir une subtile sensibilité, traduite par un son chantant et plutôt léger, vraisemblablement dans le souci de faire sonner le grand Steinway comme un pianoforte du XVIIIe siècle. L'Allegro et l'Andante sont soutenus par une belle respiration, dans une approche enlevée et délicate. Néanmoins, une certaine nervosité de l'interprète se fait sentir, comme en témoigne un rythme plutôt agité. L'Allegretto final est « ficelé » avec une rapidité inattendue et peu opportune.

En se jetant ensuite dans la Sonate en ut mineur n°5 Op.10 n°1 avec précipitation, Kocsis surprend l’auditoire, peut-être peu habitué à une telle électricité dans Beethoven – et pourtant !... Toujours dans une grande luminosité et avec beaucoup delegato, mais par une interprétation rapide et assez sèche, les trois mouvements (Allegro, Adagio et Prestissimo) s’engendrent dans un son d'une certaine dureté – guère flatteur, il est vrai, pour les aigus et médiums de l’instrument. Néanmoins, les dernières mesures sont amenées avec un calme soudain, parfaitement maîtrisé, comme en apesanteur, bouclant le morceau dans une belle sérénité.

La Sonate en fa mineur Op.2 n°1 du même compositeur révèle à quel point ce pianiste est désormais l’un des plus grands. Si certains détails du premier mouvement (Allegro) sont peut-être discutables (notamment l'agitation qui habite encore les ornements), l'arche des quatre épisodes respire une présence et une ampleur immédiatement relayées par un son chaleureux, rond, sans sacrifier à la parfaite lisibilité du discours. Zoltán Kocsis manifeste une intensité calme dans l'Adagio et l'Allegretto. Enfin, le Prestissimo est expressif à l'extrême, parcouru de demi-teintes superbes, sans jamais aucun heurt.

Après l'entracte, ces dernières impressions se confirment généreusement. L’artiste donne alors les deux Élégies Op.8b de Béla Bartók avec beaucoup de présence, créant un climat inquiétant de douce hallucination. Son jeu est à la fois posé et captivant, ne cédant jamais à aucune facilité de langage. Les mouvements Grave et Adagio tissent un même sentiment d'inquiétude, rendu palpable par des sonorités multiples et précisément contrôlées – indéniablement le Hongrois trouve là musique à sa pointure, lui qui vient d'enregistrer l'intégrale des œuvres pour piano de son illustre compatriote.

Debussyet Schumann, ensuite, tous deux formidablement inspirés. Quelle magnifique démonstration de changement de climat que cette plongée dans la Suite bergamasque où les infimes nuances du musicien français sont rendues avec une étonnante justesse, l'interprète usant à merveille d’un toucher et d’une pédalisation tellement à propos pour transmettre le caractère à la fois ludique et gracieux de l'impressionnisme ambiant ! À lui seul concentré dans un même élan, le fameux Clair de lune s’en fait tout bonnement stupéfiant.

Quatre Novelettes, parmi les huit de l'opus 21 de Robert Schumann, ne contrarient en rien l'effet d'hypnose. Avec des couleurs multiples, tout en livrant fermement les deux premières et les deux dernières pièces du recueil, sans aucune des sécheresses du début de ce récital, Zoltán Kocsis entraîne le public dans une extraordinaire complexité mélodique et rythmique qu’il concentre souverainement.

CA