Chroniques

par laurent bergnach

récitals Florian Noack et Alexandre Kantorow
pièces de Goubaïdoulina, Liapounov, Rachmaninov et Stravinsky

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon Midi Pyrénées / Corum
- 24 et 25 juillet 2016
Le pianiste Florian Noack joue l'opus 11 de Sergueï Liapounov
© dr

Voilà quatre ans, ce même festival de Radio France à Montpellier proposait deux concerts consacrés à la tradition russe du concerto pour piano et orchestre, lesquels faisaient intervenir différents solistes dans Chostakovitch (Andreï Korobeinikov), Rachmaninov (Khatia Buniatishvili), Rimski-Korsakov (Sergueï Babayan) et Rubinstein (Alexander Ghindin) – pour le meilleur et pour le pire [lire nos chroniques du 10 et 12 juillet 2012]. Aujourd’hui, à vingt-quatre heures de distance, deux nouveaux pianistes s’attaquent au répertoire du plus vaste pays de la planète, mais cette fois seuls en scène.

Mort sur le sol français comme son cadet Glazounov, le « dernier romantique russe », Sergueï Liapounov (1859-1924) [photo] étudie au conservatoire de Moscou de 1878 à 1883, notamment avec Klindworth (piano) et Taneïev (composition) – eux-mêmes ayant respectivement abordé le roi des instruments avec Ferenc Liszt et Nikolaï Rubinstein. Il devient alors le protégé de Mili Balakirev, l’âme despotique du Groupe des Cinq qui fait du jeune homme fasciné le pilier d’un nouveau cénacle pétersbourgeois – « un partisan inconditionnel, regrette Rimski-Korsakov dans ses Mémoires, […] devenant bientôt comme une photographie de son modèle ». Pourtant, sous son influence, Liapounov collecte des chants populaires, aide à rééditer Glinka et approfondit son écoute de Chopin et Liszt. Au premier, il rend hommage avec le poème symphonique Żelazowa Wola Op.37 (1909) [lire notre critique du CD], tandis que Douze études d’exécution transcendante Op.11, conçu entre 1897 et 1905, célèbre le second.

Ce dimanche à 12h30, le cycle est défendu par Florian Noack, jeune Bruxellois attaché au répertoire russe, comme en atteste sa discographie chez Ars Produktion. D’emblée, gracile et discrètement lyrique, Berceuse fait apprécier un pianiste nuancé, à même de sublimer une valse triste (Nuit d’été), l’amour délicat (Idylle) ou une grâce élégante et digne (Harpes éoliennes). L’hommage à l’auteur de Totentanz [lire notre critique du CD] serait incomplet sans une virtuosité souvent associée à la danse, tour à tour échevelée (Ronde des fantômes), paniquée (Terek), tourbillonnante (Tempête), enlevée (Lezginka) ou encore fraîche et printanière (Ronde des sylphes). Enfin, on apprécie l’artiste – justement applaudi – dans ces pièces qui mêlent instant et éternité (Carillon), mort et enfance (Chant épique), offrande et mystère (Élégie à la mémoire de Franz Liszt). Signalons que l’énergique Mūza Rubackytė, en miroir, joue à 18h30 le cycle du Hongrois qui inspira Liapounov.

Lundi, toujours à l’heure du déjeuner, Alexandre Kantorow se lance dans la Sonate en ré mineur Op.28 n°1 (1908), pièce de Sergueï Rachmaninov (1873-1949) qu’inspire le fameux trio de personnages de Faust (Goethe, 1808). Mêlant néoromantisme et fougue allemande pour évoquer le rôle-titre, Allegro moderato montre notre pianiste soucieux de quiétude et de silence. Déjà moelleuse, son approche du clavier se fait délicate et gracieuse pour un Lento célébrant Marguerite. Allegro molto, enfin, affiche un élan contenu, une virtuosité discrète qu’animent de fausses fins méphistophéliques.

De Sofia Goubaïdoulina (née en 1931), on connait surtout les pages pour cordes [lire notre critique des CD Quatuors et Concerto pour alto]. Parmi celles pour piano, Chaconne (1962) est souvent jouée, qui trahit l’influence de Chostakovitch et met en valeur force et douceur d’un interprète. Kantorow y éblouit par sa maîtrise et sa rigueur avant d’entamer L’oiseau de feu (1910) – sans partition, comme pour Rachmaninov –, transcrit par Guido Agosti (1901-1989), ancien élève de Busoni. Du ballet qui inaugure la collaboration entre Diaghilev et Stravinsky (1882-1971) [lire notre critique du DVD], des suites en cinq parties furent tirées (1910, 1919). Celle-ci en comporte trois. Le pianiste entretient l’inquiétude de Danse infernale, moment fluide et coloré auquel succède Berceuse, tendre et onirique comme il se doit, un rien nauséeuse. Un frémissant Final conclut ce programme très apprécié d’un public qui, le soir même, à Restinclières, retrouverait peut-être l’artiste dans Balakirev et Tchaïkovski…

LB