Chroniques

par david verdier

René Pape chante Wagner
Orchestre de Paris dirigé par Esa-Pekka Salonen

Festival d’Aix-en-Provence / Grand Théâtre de Provence
- 18 juillet 2013
le baryton-basse René Pape chante Wagner avec l'Orchestre de Paris à Aix
© lenny's studio

Salle Pleyel, il y a deux ans, Esa Pekka Salonen osait avec l'Orchestre de Paris un audacieux rapprochement entre Debussy, Ravel et Beethoven. Pari risqué dans la mesure où ni Debussy (une Mer réduite à une grisaille d'automne), ni Ravel (un Concerto en sol plombé par un David Fray dilettante) ne s'accordaient vraiment avec une Septième de Beethoven étonnamment lisse et à fleur de notes.

On retrouve aujourd'hui les mêmes protagonistes dans le cadre du Festival d'Aix-en-Provence, pour un concert Beethoven-Wagner glissé entre deux représentations d'Elektra de Strauss. L'orchestre a gagné en fosse une aisance impressionnante – bien aidé également par un couplage plus cohérent qui a le mérite de fournir urgence et enjeu à cette même Septième, bien supérieure à la précédente. Salonen anime le premier mouvement d'un geste vif, à la limite de l'agressivité (ces attaques qui « accrochent » la matière sonore…). Le débat se fait plus policé dans un Allegretto construit autour d'un dégradé subtil. Le soin apporté à la lisibilité des plans et des nuances est remarquable et sans une once de sensiblerie.

Le Scherzo refuse la pulsation terrienne qu'on y entend souvent. Le rebond des thèmes circule parfaitement d'un pupitre à l'autre, à l'exception d'une absence notable de cohésion dans les échanges entre violons I et II. Salonen lâche la bride à l’Allegro con brio où défile une course-poursuite de pure énergie. La pulsation l'emporte sur le souci de souligner les angles et les arrière-plans. Il faut les coups de boutoir des dernières mesures pour que l'horizon tout à coup se dégage, comme par surprise. Les basses tiennent tout l'édifice orchestral et c'est une chose remarquable que de sentir les musiciens emportés presque à leur insu dans ce maelström dynamique.

La seconde partie s'organise autour d'un triptyque wagnérien ouvertures-extraits d'opéras, marqué par la présence de René Pape. L'effectif impressionnant entre tout naturellement en conflit (pacifique) avec la dimension de la voix soliste. On peut à ce propos regretter la fausse-bonne idée consistant à saucissonner les « tubes » orchestraux avec les passages chantés. Oscillant entre pot-pourri et soirée à thème, l'exercice contraint à rompre le fil logique qui relie les monologues à leur écrin instrumental.

Dans l'Ouverture des Meistersinger von Nürnberg Esa-Pekka alonen démontre sa capacité à maintenir une impeccable conduite des voix, sans perdre de vue la couleur d'ensemble. La cristallisation de l'émotion opère à des moments où on l'attend le moins, comme dans ces surprenants sotto voce qui font apparaître toute une foule de détails d'ordinaire peu signifiants. L'ensemble est massif et léger à la fois, très « symphonique » dans la mesure où il serait bien difficile d'imaginer les chœurs de la première scène succéder à ce déferlement tellurique. René Pape exprime de fines nuances dans le Fliedermonolog du deuxième acte – de belles qualités pour une voix qui cherche encore ses marques et passe un peu à côté de cet alliage d'humour mordant et de nostalgie amoureuse.

L'insolite « Prélude et mort de Marke » qui suit distribue à parts égales les mérites et les beautés – c'est de toute évidence le sommet de la soirée. Salonen obtient de l'orchestre une profondeur et un sens qu'on n'espérait plus. Sans démonstration excessive, il dévoile progressivement toute une gamme de clairs-obscurs jusqu'au seuil où, d'ordinaire, débute la mort d'Isolde. Rarement donné au concert, le monologue du roi Marke est une passionnante alternative. L'incarnation de René Pape se fond parfaitement à ce que l'on rêve d'entendre à ce moment-là : une lente dérive qui s'épanche soudain et laisse à nu ce personnage qu'on croyait en quête de vengeance.

Après tant de subtilités, que vient faire la Chevauchée des Walkyries ? Isolée de son contexte cette bruyante ferblanterie claque et cogne pour le plus grand plaisir du public qui se réveille et bat du pied… Même les Adieux de Wotan ne parviendront pas à renouer avec la magie de Tristan. Émoussé mais émouvant, Pape se refait une santé dans l'invocation du feu. La voix tire un peu (la faute à cet interminable programme), étrangement secondée par une exotique plaque de métal signifiant les coups de lance.

L'Orchestre de Paris tutoie chez Wagner des sommets qu'on attend volontiers d'un orchestre de fosse. L'expérience d'Elektra prolongera quelques jours après cette démonstration virtuose.

DV