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Chroniques
Salome | Salomé
opéra de Richard Strauss
Sous l’étrange lumière de la lune, dans un climat qui rappelle les diverses Îles des morts de Böcklin, l’acte de Richard Strauss concentre le récit de la passion d’une jeune femme pour un prophète dans le trajet de cet astre de froide porcelaine, avançant peu à peu jusqu’à l’éclipse. Ainsi retrouvons-nous la production que Lev Dodin réalisait il y a trois ans pour l’Opéra de Paris, pendant le mandat d’Hugues Gall.
Cette reprise brille avant tout par son plateau vocal. Si l’on n’est guère convaincu par le Jochanaan de Evgueni Nikintin, fort musical mais trop confidentiel par rapport aux dimensions de l’orchestration, si Ulrike Mayer est un Page terne et quelque peu instable, on distinguera l’efficacité et la fermeté des deux soldats – Friedemann Röhlig et Scott Wilde – dont le premier possède un timbre joliment cuivré et mène remarquablement son phrasé. De même appréciera-t-on la suavité et la souplesse du chant du premier Nazaréen, Ilya Bannik, et le quintette des juifs, parfaitement équilibré –Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Eric Huchet, Mihajlo Arsenski, Andreas Jäggi et Yuri Kissin.
Plus que d’un trio principal, c’est d’un quatuor qu’il faudra parler, ce soir. Outre les protagonistes de la famille régnante, on y comptera l’intéressant Narraboth de Tomislav Mužek offrant, outre une vraie présence scénique, une belle ligne de chant et une couleur corsée dotée d’un aigu lumineux et toujours souplement amené. L’arrivée du couple Hérodias|Hérode vient littéralement dynamiser la scène, tant grâce au grand métier, au charisme qu’au format vocal des artistes qui l’incarnent. Jane Henschel s’impose par un impact d’une ampleur incontestable et un jeu constant, construisant une reine d’une grande classe volontiers moqueuse, notamment sur les dénégations idiotes de son mari pris au piège tendu à sa lubricité. On le sait : Chris Merritt, dont la voix, avec le temps, ne semble pas vouloir faiblir, est pour ainsi dire rompu au rôle d’Hérode qu’il a beaucoup chanté ; il l’habite d’une personnalité fascinante qui le rend un peu fou et contribue au réveil de l’action, sur une scène quelque peu inerte jusqu’alors.
Car, il faut bien l’avouer, cette mise en scène n’est guère passionnante ; il s’agit bien plutôt d’une scénographie qui oublie la direction d’acteur. On en retiendra quelques images, comme cette promenade lunaire fort bien éclairée – Jean Kalman – ou le lent recul d’Hérodias pendant la déclaration d’amour à la tête coupée ; on y pourra lire un sentiment d’horreur, mais aussi d’admiration, peut-être du respect.
À l’académisme hiératique du dispositif scénique, qui n’est pas sans rappeler Appia, Hartmut Haenchen répond par une direction d’orchestre plus classique que celle qu’on réserve habituellement à l’ouvrage. Certes, il n’en oublie pas la sensualité, mais ne semble pas admettre qu’ici, elle se loge également dans la violence. Atténuant tout ce qui pourrait déranger l’oreille, il propose une lecture qui s’amplifie en profondeur plus qu’en coups d’éclat, comme un fleuve. C’est indéniablement fort beau, d’autant qu’on y entend tous les détails d’écriture et que chaque pupitre s’évertue à bien servir la partition – prestation remarquable des cuivres - mais tout semble se fondre en une conception symphonique sans autre intention dramatique.
Enfin, Catherine Naglestad est une Salomé d’exception. Dotée d’une couleur vocale attachante, d’une belle assise dans le grave, d’un timbre chaleureux, d’une puissance qui lui permet de dominer la fosse au plus fort du tutti, d’un art de la nuance et d’une expressivité fascinante, elle magnifie le personnage par sa vivacité sur scène, dangereusement gracieuse, et son excellence dans la danse qu’elle mène sans vulgarité jusqu’à la nudité, offrant sa pudeur en sacrifice non pas au vieil Hérode mais à la bouche du prophète.
BB