Chroniques

par gilles charlassier

Salonen, Saariaho et Varèse pour finir
Orchestre Philharmonique de Radio France

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 19 février 2011
© clive barda

Le public fait salle comble et les éminences nombreuses en corbeille pour le concert de clôture du vingtième et unième festival de création musicale de Radio France Présences. C’est en effet ce soir qu’est donnée l’une des deux commandes passées par l’institution française à l’invité de la présente édition, le Finlandais Esa-Pekka Salonen. Le compositeur dirige lui-même la première mondiale de cette pièce pour orchestre, annoncée dans la brochure par un énigmatique « nouvelle œuvre » et nommée par le non moins mallarméen Nyx dans le folliculaire programme distribué à l’entrée de la salle. Des deux créations de Salonen, celle de ce soir est de loin la plus longue et la plus attendue – l’œuvre est une commande faite conjointement par Radio France, Carnegie Hall, l’Atlanta Symphony Orchestra, Barbican Center et l’Orchestre Symphonique de la Radio Finlandaise. C’est aussi la seule orchestrale – à côté, le Dona nobis pacem pour chœur d’enfants donné le 4 février tient presque du bibelot sonore.

Nyx s’ouvre sur un choral des cuivres. Les autres pupitres répondent à l’appel des hérauts mélodiques et se fondent en un crescendo pour former un maelström aux réminiscences mahlériennes. La partition alterne ainsi les masses orchestrales, dans des tempi roboratifs qui ne sont pas sans rappeler les répétitifs américains, avec des plages plus extatiques. Le tout prend une allure que n’aurait pas reniée Bernard Hermann. On sent que le compositeur est allé puiser son inspiration dans l’ expérience du chef d’orchestre, ptyx au demeurant fort honorable. La partition ne se montre pas avare d’effets expressifs et se révèle flatteuse pour l’orchestre, des basses aux gazouillis de l’harmonie.

D’Om le vrai sens, pour clarinette et orchestre, commande de Radio France, l’Yleisradio, la BBC, l’Orqueta Nacional do Porto et la Sveriges Radio à la bien célébrée Kaija Saariaho, est donnée ce soir en première française. La contribution de la compositrice dans la brochure du festival renseigne le spectateur sur la gestation de ce concerto pour clarinette. Le nom des six parties à le composer sont tirés des titres de la série de six tapisseries médiévales, la Dame à la Licorne, exposée au Musée national du Moyen-âge de Cluny : L’ouïe, La vue, Le toucher, L’odorat, Le goût et À mon seul désir. Au fil de l’œuvre, la clarinette se déplace sur la scène et dans la salle – la mise en espace est la signature de Peter Sellars. Cette intention de spatialisation théâtrale du son se souvient du Dialogue de l’ombre double de Boulez où le dispositif électroacoustique répartit le double du soliste. La virtuosité extrême réservée à ce dernier se retrouve d’ailleurs dans les deux partitions. La même écriture sollicite tour à tour les couleurs presque bois fumé de l’instrument avec un traitement qui en exploite les possibilités expressives, aigus fortissimo, jeux sur le souffle, kaléidoscopes rythmiques à la vélocité grisante. Le chatoiement orchestral et le statisme idiomatiques de la compositrice finlandaise sont au rendez-vous. Kari Krikku, dédicataire de l’œuvre, réalise une performance époustouflante.

La seconde partie du concert fait entendre deux œuvres assimilées par le répertoire, mettant ainsi en perspective les deux créations. La première des LA Variations eut lieu en 1997 à Los Angeles par le Los Angeles Philharmonic Orchestra. Salonen indique dans le livret une description de la géographie de sa pièce. À partir d’un matériau harmonique de deux accords de six notes, dix-sept épisodes se succèdent dans un seul élan. La variété des timbres, des couleurs, des tempi imprime à la partition une séduction indéniable, assez indifférente aux considérations analytiques du compositeur. Il s’agit bien là d’une musique pour un grand orchestre et son chef.

La filiation avec Amériques de Varèse, joué ensuite, est indéniable. C’est la version de 1927, révisée par Chou-Wen Chung qui est donnée. La pièce commence par un solo de flûte aux accents debussystes selon certains, mais qui seraient teintés d’une sauvagerie domestiquée rappelant le début du Sacre du printemps. Ce motif mélodique va se propager aux différents pupitres – bois, cuivres, cordes – au fil des reprises, fonctionnant comme un introït avant chaque nouvelle plongée dans la masse orchestrale. On a beaucoup écrit sur le rythme frappé aux bois des harpes et l’intervention des sirènes. Pourtant Varèse n’est pas le premier à introduire des éléments non-musicaux – Satie l’avait déjà fait dans Parade. De plus, l’usage percussif des harpes est loin de violenter l’instrument. Le passage pourrait presque évoquer le trio pour harpe et flûte de L’enfance du Christ de Berlioz. L’innovation de Varèse tient surtout à un renouvellement de l’expression orchestrale. Ce n’est plus la représentation d’affects qui est assignée à la musique ; celle-ci fait naître un univers sonore dépersonnalisé : les mouvements de masse répétés à la fin n’ont d’autre but que d’expérimenter et repousser les limites du remplissage sonore. On peut voir en cette page de vingt-cinq minutes l’archétype des trois œuvres que nous avons entendues auparavant, lesquelles poursuivent avec une fortune diverse les explorations du Bourguignon émigré au Monde Nouveau.

Ce travail sur les textures trouve en Esa-Pekka Salonen un Hermès fidèle, démontrant que l’on peut être moderne sans exagérer les dissonances. L’Orchestre Philharmonique de Radio France rutile, sans sacrifier la clarté de l’étagement des pupitres. C’est puissant, massif parfois, sans être informe jamais. Cela réjouit public et instrumentistes et clôt avec éclat cette édition du festival Présences.

GC