Chroniques

par bertrand bolognesi

Schönberg par Boulez
Orchestre Philharmonique de Radio France

Salle Pleyel, Paris
- 20 février 2009
à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, Boulez joue Schönberg
© dr

Un mois après la soirée Schönberg qu’ils donnaient sous la direction de Péter Eötvös [lire notre chronique du 23 janvier 2009], les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France honorent une nouvelle fois le maître viennois à travers trois opus qui font parcourir au public le chemin de la radicalité. Ouvert par Verklärte Nacht Op.4, le programme se penche d’abord sur la facture fortement héritière du romantisme d’un compositeur de vingt-huit ans qui signa son sextuor à cordes en 1902, avant de le transcrire pour orchestre à cordes en 1917. Et de retrouver l’autorité de Pierre Boulez au pupitre, à faire sourdre les premiers pas d’un lointain qui fascine, opposant bientôt à la tendresse des solos de violon la sombre profondeur des tutti. Le symbolisme perce aisément, dans une sonorité plutôt française où se pourraient rejoindre Jugenstill Mitteleuropa et Art nouveau nancéien. Par une gestion équilibrée de la dynamique, Boulez creuse peu à peu le contraste, dans un extrême raffinement sans raucité forcée, jusqu’à l’enthousiasme où le lyrisme s’épanouit dans une discrétion rare.

Grand bond en avant : le Concerto pour piano Op.42 fut conçu une quarantaine d’années plus tard par un Schönberg devenu américain, par la force de l’innommable. Bien qu’une amitié ancienne liât les deux musiciens qu’un même engouement pour l’œuvre de Mahler avait rassemblés pendant leur jeunesse à Vienne, bien que le pianiste jouât de son entregent en 1911 pour introduire à Berlin Schönberg dont il jouerait lui-même Pierrot lunaire en 1921, Arthur Schnabel refusa de créer le Concerto. Malgré la colère de l’auteur, c’est finalement le fidèle Eduard Steuermann (élève de Busoni puis professeur de Brendel), installé depuis six ans aux États-Unis, qui en donnerait la première, sous la direction de Stokowski, à New York le 6 février 1944.

Dès son approche de l’Andante initial, Mitsuko Uchida révèle une pâte sonore qui a généreusement gagné en épaisseur comme en projection, naviguant sur une partie d’orchestre délicatement dosée, d’une absolue clarté. C’est dans le deuxième mouvement, Thema, que l’œuvre du temps se montre nettement, le ton désormais marné d’expressionnisme, quittant Klimt pour Kokoschka. L’orchestre ose de formidables stridences qu’il retenait il y a un mois. Au piano, la fiabilité de chaque frappe à la notation, toujours clairement différentiée, souligne la dimension dynamique de l’Adagio suivant. La férocité rythmique du Giocoso conclusif emporte la salle.

D’une rigueur flirtant avec l’ascèse, les radicales Variations Op.31 sont cependant antérieures d’une quinzaine d’années. À son habitude, Pierre Boulez en dessine le travail des timbres avec une minutie sans égale. Chaque détail est soigné, dans une vaste construction au geste magistral. À une délicatesse parfois chambriste répond une âpre gravité de ton. Voilà bien de quoi mettre en valeur chaque pupitre, ce dont le chef profite en esprit éclairé pour lequel intelligence et sensibilité veulent dire la même chose. Le public de la salle Pleyel et les auditeurs de France Musique (qui retransmet le concert en direct) viennent de goûter un très grand moment de musique, assurément.

BB