Chroniques

par bertrand bolognesi

sculpter l’Alpensinfonie
Marek Janowski dirige l'Orchestre de la Suisse Romande

Salle Pleyel, Paris
- 6 mars 2009
Marel Janowski à la tête de l'OSR donne une Alpensinfonie magnifgique
© yunus durukan

Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas, dit-on. Quoi de plus vrai lorsqu’après les rutilantes exécutions de Salonen [lire notre chronique du 4 mars 2013] l'on goûte à la grande tenue des interprétations de Marek Janowski ? À la tête de son Orchestre de la Suisse Romande (OSR), le chef impose des lectures drastiques sans jansénisme des deux œuvres inscrites au programme.

Ainsi de l’Allegro affetuoso ouvrant dans une belle clarté le Concerto pour piano en la mineur Op.54 de Robert Schumann, avec la complicité dénuée d’afféterie d’un Nikolaï Lugansky sainement inflexible. Outre qu’il s’avère soigneusement nuancé, l’orchestre invente sans cesse, ne répète jamais une phrase à l’identique, tout en observant la rigueur encore « classique » de ce romantisme-là. Rien de heurté pour autant, sous les doigts lestes du pianiste russe qui dialogue délicatement avec les bois, discrètement dessinés par Janowski. Une couleur nouvelle se construit dans la cadence imitative dont les jeux se répondent comme à plusieurs pupitres. Le piano chante et harmonise : oui, ce pourrait bien être précisément la définition de l’écriture pianistique et de « l’instrument-piano », mais le constate-t-on toujours si évidemment au concert ? Une élégance toute chambriste gagne bientôt l’Intermezzo central dont l’expressivité demeure loyalement circonscrite à une relative sévérité. Plus beethovénien, le Vivace rencontre l’intériorité d’un Lied, dans l’absolue précision du soliste et dans la concise ponctuation du tutti. Sans pompe superfétatoire, de légers contrastes affirment intelligemment un enthousiasme certain, sagement jugulé.

À ceux qui en doutèrent il est ce soir affirmé qu’un orchestre de près de cent quarante musiciens peut n’être pas tonitruant. Du chaos initial de l’Alpensinfonie Op.64 de Richard Strauss Marek Janowski fait surgir une fulgurante lumière, sans se départir de la rigueur constatée dans le concerto. Certes, la texture de cette page demeure épaisse, inépuisable daraise, mais au plus fort il fait percevoir le moindre détail de la partition. Ici, il ne cisèle plus : il sculpte vigoureusement, ne cédant à aucune tentation d’alanguissement, de sensualité ou d’autres sortes de surenchère artificielle, ce qui n’exclut pas la tendresse réservée aux îlots chambristes, ceux-là même qu’on retrouve dans le contemporain Rosenkavalier ou, bien plus tard, dans Capriccio, hérités du Finale de la Sonate pour violon Op.18, conçue par un Strauss de vingt-trois ans (1887).

Dans l’éminent équilibre pupitral vérifié par Janowski, les figuralismes (cloches de vaches, etc.) sont présents sans appui inutile. granitique, la puissance du geste est inouïe : impressionnante et cependant toujours à échelle humaine – les Alpes inspiratrices, précisément. Le suspens précédant la tempête s’anime peu à peu, superpoe les motifs dans un essor jamais opulent, ce suspens de la fin de Salome que l’OSR vient de donner à Genève [lire notre chronique du 13 février 2009].

BB