Chroniques

par katy oberlé

Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Iván Fischer
Igor Levit joue le Concerto en mi bémol majeur K.482 de Mozart

Symphonie en fa mineur Op.36 n°4 de Piotr Tchaïkovski
Herkulessaal, Munich
- 17 janvier 2020
Le Hongrois Iván Fischer dirige le Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks
© ákos stiller

Le choc fut grand lorsqu’on apprit la triste nouvelle : le 30 novembre 2019, le grand chef letton Mariss Jansons s’est éteint, à Saint-Pétersbourg. Depuis seize ans, il était le chef principal du Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks où il avait succédé à Lorin Maazel [lire nos chroniques du 9 mars 2008, du 18 décembre 2010, du 12 janvier 2013, du 18 janvier 2014, des 9 avril et 17 mars 2016 et du 2 février 2018]. En deuil, la formation bavaroise, que Robin Ticciati a dirigée la semaine dernière [lire notre chronique du 10 janvier 2020], donne aujourd’hui le programme initialement prévu, le maître disparu étant remplacé pour l’occasion par Iván Fischer.

La soirée commence avec le Concerto pour piano en bémol majeur K.482 que Wolfgang Amadeus Mozart achevait le 16 décembre 1785, à Vienne, tout en travaillant sur Le nozze di Figaro, créé dans la capitale impériale au printemps suivant. Le dessin volontaire dans lequel le chef hongrois engage immédiatement l’Allegro invite la surprise d’un piano d’une délicieuse délicatesse, sous les doigts agiles d’Igor Levit. La grâce tonique domine l’exécution de ce premier mouvement dont les acteurs s’affirment des complices inspirés. La cadenza alterne adroitement tendresse et mélancolie, avec une nervosité finement joueuse. Tendresse, encore, pour le thème des cordes, ut mineur typique du Mozart mélancolique, ici posé dans un recueillement si profond qu’il prend hauteur d’hommage. L’entrée du soliste n’apporte aucune contradiction à ce ton douloureux. L’habileté des bois munichois est à l’œuvre dans un passage plus rêveur qui contrebalance le côté sombre. La vigueur des cordes, sous le geste évident de Fischer, inscrit les variations dans une teinte tragique où les phrases du piano développent un spleen puissant. Igor Levit introduit alors le Rondo dans une inflexion plus gaie qui, ce soir, garde trace des ombrages centraux. On admire la douceur de la frappe, la bonté du don, chez cet artiste habité. Petit à petit, l’interprétation cède à l’insouciance du concerto et répond à l’exigence de brio. En bis, le pianiste russe étonne avec une rareté : le huitième des Vingt-cinq préludes Op.31 de Charles-Valentin Alkan, Chanson de la folle au bord de la mer, dont il souligne l’étrangeté dans un effleurement qui tournoie jusqu’à une rage butée.

Après l’entracte, nous retrouvons la fanfare imposante de la Symphonie en fa mineur Op.36 n°4 de Piotr Tchaïkovski, écrite durant l’hiver 1877 – l’année même, fatidique, de cette erreur monumentale que fut son mariage ! – et créée 10 février 1878, à Moscou où le compositeur enseigne son art. Après l’attaque, le Moderato convoque ici tous les excès de la passion. La valse nait dans une espèce de maigreur timide. L’emphase qui s’ensuit est malheureusement entachée par l’imprécision des cors, pourtant impeccables au retour de la fanfare. Une souplesse inhabituelle domine la belle lecture d’Iván Fischer [lire nos chroniques du 26 mai 2015, des 19 avril et 13 juin 2014, du 15 juin 2013, des 21 juin et 26 septembre 2012, du 3 mars 2011 et du 9 janvier 2010, ainsi que notre critique de son intégrale des symphonies de Beethoven], tendue comme un câble prêt à rompre. La cantilène nue et nostalgique de l’Andantino est simplement poignante pour sa réserve émue. Puis c’est le bal des cordes, lyriques et chorégraphiques. Les pointes d’un ballet de fantômes hantent le début du Scherzo, bien aiguisé. Les bruits de la fête arrivent, fifres et pantins de conte. L’énergie du Finale (Allegro con fuoco) est cinglante comme le délire. Les accents d’une complainte populaire s’élèvent dans un tourbillon dramatique. Iván Fischer fait succéder la lassitude de la dépression à la tornade pathétique qui se rejoignent dans la citation de la fanfare de départ. Il enlève les dernières mesures dans une frénésie bien venue !

KO