Chroniques

par bertrand bolognesi

Sofia Goubaïdoulina | Die Pilger
Franz Schubert | Quinette en ut majeur D956

Sol Gabetta, Elisaveta Blumina, Staatskapelle Dresden
Osterfestspiele Salzburg / Mozarteum
- 1er avril 2018
création autrichienne de "Die Pilger" de Sofia Goubaïdoulina, à Salzbourg
© dr

En amont de la création, lors de son édition 2019, d’une commande conjointe avec la Staatskapelle Dresden, l’Osterfestspiele Salzburg propose, à deux reprises, la première autrichienne d’une pièce de Sofia Goubaïdoulina. Dans le cadre de la présence, cette année, de Sol Gabetta [lire notre chronique du 21 avril 2016 et notre critique du CD Chopin- Franchomme], la violoncelliste se produit dans des œuvres du répertoire avec des musiciens du prestigieux orchestre saxon dont les indéniables qualités affleurèrent encore pendant la Troisième de Mahler [lire notre chronique de l’avant-veille]. Après le Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen, dimanche dernier, avec ces instrumentistes auxquels venait s’ajouter le pianiste Bertrand Chamayou [lire nos chroniques des 8 et 15 janvier 2017, du 23 juillet 2016, du 12 octobre 2014 et du 21 décembre 2011], elle joue aujourd’hui le Quintette en ut majeur D956 de Franz Schubert, ces deux moments étant introduits par Die Pilger de la compositrice russe (où elle n’intervient pas).

Die Pilger, autrement dit Les pélerins, vit le jour le 1er mars 2015 à Chicago, sous les doigts des artistes du Contempo Ensemble que dirigeait Cliff Colnot. Cet après-midi, Matthias Wollong, Andreas Wylezol, Christian Langer, Simon Etzold et Elisaveta Blumina interprètent sans chef cet opus d’une trentaine de minutes, conçu comme trois vagues pérégrines relativement austères. L’instrumentarium très particulier – violon, contrebasse, piano et percussions (deux officiants, avec de grandes parties de glockenspiel, gongs, marimba, timbales et vibraphone) – favorise un climat infiniment concentré (à l’instar de toute l’œuvre de Goubaïdoulina), dominé par des scansions qui, dès l’abord, lui confère une sévère gravité. Les timbales commencent, âpres, sans donner lieu à un motif à proprement parler ; une brève phrase d’accords pianistiques conclut cette procession liminaire. Le bât revient alors, mais dans les pizz’ mafflus de la contrebasse. Au clavier d’ensuite ouvrir la tête, en duo avec cette dernière. Le violon effectue une ascension vertigineuse soudain couverte par un chœur carillonnant, inventé dans l’aigu du piano qui s’additionne aux percussions. Un troisième défilé s’engage, variant le principe des précédents à travers des percées d’un lyrisme tant flamboyant qu’éphémère dont l’extinction précipite l’oreille dans un désert nu. Survient une ultime volée campanaire, plus mystique que religieuse, où l’on retrouve l’inspiration spirituelle de la musicienne (partagée entre les origines juives polonaises de la mère et le fort enracinement du père dans la culture tatare) [lire nos chroniques de ses Chaconne, Concerto pour alto, Quatuors à cordes, Kadenza et Musical toys].

Après l’entracte, on reconnaît la soyeuse impédance des cordes de la Staatskapelle de Dresde [lire nos chroniques du 20 mai 2017, 5 septembre 2015, du 12 mars 2014 et du 24 mai 2013] dès l’entame de l’Allegro ma non troppo duQuintette de Schubert. Le mouvement avance dans une tonicité contenue (raisonnable, pourrait-on dire), puis pleinement exprimée. La fraîcheur de l’articulation générale étonne. Tout juste regrettera-t-on la discrétion presque coupable de Sebastian Herberg à l’alto. Dans sa partie pincée, Sol Gabetta s’engage si résolument que tout le final s’en trouve vertement boosté. Une couleur subtile transmet le grand mystère mélancolique de l’Adagio qui absorbe passionnément l’écoute. La robustesse du Scherzo en paraît plus contrastée que jamais, peut-être un peu trop, d’ailleurs ; après le trio délicatement introspectif, la reprise du menuet cède sa musculature à la faveur d’une approche plus musicale. En revanche, le dernier épisode est malmené par une sonorité quasiment expressionniste, au détriment de cette élégance dont il est encore permis de croire qu’elle demeure tout aussi puissante – l’option interprétative est toutefois parfaitement défendable, par-delà le goût qu’on n’en partage guère.

L’inscription du Festival de Pâques de Salzbourg dans le ferment contemporain se confirmera donc, s’il en était besoin après Satyricon [lire notre chronique de la veille], en avril 2019 avec Der Zorn Gottes de Goubaïdoulina que Christian Thielemann créera à la tête de son orchestre.

BB