Chroniques

par laurent bergnach

Têtes pansues
farce lyrique de Jonathan Pontier

Théâtre Silvia Monfort, Paris
- 9 juin 2005
Têtes pansues, farce lyrique de Jonathan Pontier
© dr

Toujours soucieuse, après vingt ans d'activité, de promouvoir un répertoire à la frontière du théâtre et de l'opéra, l'ARCAL (Compagnie Nationale de Théâtre Lyrique et Musical) s'associe aujourd'hui à l'Institut International de la Marionnette pour un spectacle original où se mêlent différents arts de la scène. Pour être au diapason du projet qui met en vedette une langue truculente, Eugène Durif a réécrit un texte ancien, Têtes farçues, devenu Têtes pansues. Son but, à partir de références littéraires ou puisées dans l'actualité, est « de parler du monde de façon carnavalesque ».

Cap'tain Bagoinffre et Ganelon, bustes de taille humaine à la bouche articulée, sont des rivaux au cœur d'une lutte pour le pouvoir, d'une guerre intestine avec règlements de comptes privés et publics. Pour conserver sa place, démontrer qu'« un chef, c'est un chef ET un projet », Bagoinffre doit ausculter le marché, dynamiser la production, organiser des défilés, défendre la langue nationale, et traquer dans l'ombre l'opportuniste, le comploteur, le sournois. Chaque personnage est interprété par un chanteur et par un comédien – le baryton-basse Vincent Billier et le contre-ténor Thierry Grégoire qui viennent se reposer un peu du baroque ; Damien Bigourdan et Jonathan Capdevielle. Par ce procédé, l'accent est mis sur les différents niveaux du discours politique, le plus souvent stéréotypés. Mais le peuple moutonnier en prend aussi pour son grade, qui se lamente : « sans chef, c'est la chienlit ! ».

Rien qu'au siècle dernier, d'Eva Peron à Monica Lewinsky, les femmes ont toujours fait partie de l'histoire politique. En voici deux spécimens intéressants : d'un côté, la conseillère rouée de Bagoinffre – Alexandra-Shiva Mélis, malheureusement souvent couverte par la musique –, et de l'autre, la fille de ce dernier, Janine – le soprano Chantal Santon. Avant de succomber explicitement aux avances de Ganelon, la pucelle entend des voix, ce qui nous offre une bande son remplie de chœurs angéliques, mais aussi de voix drôlement déformées en cas de friture. Après Le grand combat, une émission télévisée au cours de laquelle leurs deux champions s'insulteront copieusement (« Enflure caduque et périmée! Surplus de souk ! Ububu de popoche ! ») avant de se détruire, elles prendront officiellement les places vacantes.

C'est à Jonathan Pontier, né en 1977, qu'à été confié le soin d'écrire la musique du spectacle, au terme d'une résidence annuelle à l'ARCAL, qui lui a permis de vivre le quotidien d'une compagnie lyrique. Autodidacte, son catalogue est hétéroclite : pièces pour ensembles divers ou électroacoustiques, musiques de film, chansons. Frappé par l'archaïsme, l'inventivité, voire la trivialité du livret, il avoue n'avoir « pas hésité à écrire une musique rugueuse, faussement néo-classique, utilisant des personnages musicaux aux contours harmoniques grossiers mais définis ». Trois membres de l'Ensemble 2e2m, Mélanie Brégant (accordéon), Jérôme Schmitt (clarinette) et Philippe Legris (tuba), tout en fourbissant des « airs entrainailleurs et patriotards », sont tour à tour témoins, militants ou souffre-douleurs de ces luttes partisanes.

Outre ces interprètes de talent, félicitons enfin Christian Gangneron pour une mise en scène sans temps mort, inventive et pleine de clins d'œil (le tableau de Jeanne d'Arc, les micros-caméras du débat, etc.) et qui n'abuse pas de la vidéo mise à sa disposition pour un final explosif.

LB