Chroniques

par irma foletti

Tannhäuser
opéra de Richard Wagner

Oper, Francfort
- 28 avril 2024
Matthew Wild met en scène TANNHÄUSER (Wagner) à l'Opéra de Francfort...
© barbara aumüller

Tout comme Giulio Cesare in Egitto [lire notre chronique de la veille], Tannhäuser est une nouvelle production de la saison 2023/2024 de l’Opéra de Francfort, créée aujourd’hui-même. À cette occasion, le metteur en scène Matthew Wild a souhaité raconter l’histoire de l’écrivain Heinrich von Ofterdingen fuyant les nazis pour l’Amérique où il devient auteur à succès en recevant le Prix Pulitzer 1956 pour son roman Montsalvat – ce roman existe réellement, écrit par Pierre Benoit (1886-1962), membre de l'Académie française, de même qu’Ofterdingen est un personnage de Novalis dans une fiction demeurée inachevée. On apprend ces vraies-fausses informations par les Une de journaux américains et allemands projetées, le romancier enseignant à la fictive Stella Maris University, en Californie.

Tannhäuser incarne ce personnage d’Ofterdingen qui se trouve visiblement en panne d’inspiration au premier acte, seul dans sa chambre d’hôtel ou d’appartement. Dans les deux chambres voisines qui encadrent la sienne se succèdent de rapides saynètes, avec Vénus dans l’une et un jeune homme dans l’autre, ainsi que d’autres personnages en petite tenue. L’un arbore des ailes comme un aigle, deux autres sont déguisés en mouton et deux surfeurs, un peu plus tôt, fartent leur planche tandis qu’on entend les premières paroles de l’ouvrage, Naht euch dem Strande (Approchez-vous de la plage) et que sont projetées des vidéos subaquatiques. Toutes ces images, rêves, cauchemars ou fruit de l’imagination du romancier, s’enchaînent à très vive allure, et l’on peut redouter un instant le trop-plein d’idées du metteur en scène, mais les choses se calment nettement par la suite. Hormis ces trois immenses caissons de chambres qui symbolisent le Venusberg, l’élément scénographique principal d’Herbert Barz-Murauer [lire notre critique de Zazà] est l’amphithéâtre de l’université où se déroule le concours de chant de la Wartburg, au deuxième acte. Lorsque cette salle fait volte-face au moyen d’un plateau tournant, c’est alors le côté convexe du mur qui apparaît, lieu extérieure pour figurer la campagne ou la vallée près de la Wartburg.

Si la proposition du metteur en scène sud-africain peut paraître osée, voire tarabiscotée, il faut reconnaître qu’elle fonctionne, régulièrement avec humour, d’ailleurs. Les images projetées en introduction du tournoi indiquent qu’il s’agit du Charity Poetry Contest, édition 1961. La fanfare de six cuivres défile en travers du plateau et les quatre pages sont des jeunes filles qui peuvent rappeler certaines pom-pom girls. Étudiants et étudiantes forment un nombreux public venu assister au tournoi, la majorité avec le roman Montsalvat en main… et les jeunes filles ne résistent pas longtemps à demander un autographe à l’auteur ! Moins drôle : après le scandale provoqué par Tannhäuser – un long baiser au jeune homme évoqué plus haut –, Elisabeth tire le héros d’une meute homophobe, les pages du livre précédemment encensé étant arrachées puis brûlées dans un mini braséro, en autodafé. Au troisième acte, on voit des images d’archives sur l’écran placé sous le cadre de scène, vraisemblablement celles de cardinaux et du Pape Jean XXIII si l’on suit la cohérence de l’époque. Nous avions aussi aperçu, au tout début de la représentation, une vieille femme qui installait son ordinateur dans l’amphithéâtre et nous la retrouvons au dénouement : il s’agit d’Elisabeth, toujours bien vivante et devenue elle-même romancière à succès, tandis que Tannhäuser a mystérieusement disparu.

La distribution vocale est de bonne tenue, mais surtout homogène, sans titulaire dont les qualités relèveraient de l’extraordinaire. Il en va ainsi de Marco Jentzsch qui défend le rôle-titre, ténor bien concentré dans le médium de la voix et qui projette convenablement, mais dont quelques notes rencontrent de petites baisses de tension, ainsi certains aigus sensiblement resserrés en fin de premier acte. Le chanteur fait preuve d’endurance et tient ce long rôle avec énergie, conservant suffisamment de forces pour le récit de Rome [lire nos critiques du fliegende Holländer et des Meistersinger von Nürnberg]. La Venus de Djamila Kaiser laisse une impression mitigée. Les intentions sont louables, ainsi que plusieurs aigus appuyés, mais l’instrument est accompagné d’un vibrato marqué et se révèle surtout peu homogène sur son étendue, avec un registre grave inconfortable et trop peu sonore [lire nos chroniques d’Amleto, Beatrice Cenci et La passagère]. En revanche, l’entrée en scène de l’Elisabeth de Christina Nilsson ravit les oreilles, un Dich, teure Halle de grande ampleur et qui ne trahit pas l’effort. La voix est un peu pointue mais la diction très claire. On se laisse prendre rapidement par une large gamme de nuances apportée par l’interprète, comme ces Sei mir gegrüsst! émis avec une véritable tendresse [lire notre chronique d’Ariadne auf Naxos]. En Wolfram, on apprécie le baryton richement timbré de Domen Križaj, conduisant sa ligne vocale avec grande élégance [lire notre chronique du Goldkäfer]. On entend parfois ses plus hauts aigus légèrement décolorés, mais on admire le legato soigné qu’il apporte à sa romance à l'étoile, O du, mein holder Abendstern, passage qui ne sollicite pas particulièrement son extrême aigu. Andreas Bauer Kanabas se montre encore plus impressionnant en Landgraf Hermann, basse profonde et large, capable, suivant les situations, d’un supplément de puissance, et d’autorité en conséquence, mais amenant aussi une belle humanité à ses paroles [lire nos chroniques de Don Giovanni, Tannhäuser à Toulouse et à Francfort, Les voyages de Monsieur Brouček, Le joueur, Die Zauberflöte, Tristan und Isolde, Lucrezia Borgia et Die ersten Menschen]. Magnus Dietrich fait valoir en Walther une voix de ténor bien concentrée, claire et sonore, aux côtés d’Erik van Heyningen (Biterolf), Michael Porter (Heinrich) et Magnús Baldvinsson (Reinmar).

C’est le jeune et non moins talentueux Thomas Guggeis (trente-et-un ans), nouveau directeur musical de l’Opéra de Francfort depuis septembre, qui est placé aux commandes du Frankfurter Opern- und Museumsorchester. On admire la maîtrise technique qu’il obtient de sa phalange, ainsi que la solide architecture musicale mise en place. Les couleurs sont très agréables à écouter, on peut y entendre des détails subtils, ce qui n’empêche pas de jouer plusieurs passages avec brio et enthousiasme. Le Chor der Oper Frankfurt, renforcé pour l’occasion par des supplémentaires, forme un groupe imposant, donnant un grand souffle à la partition. Les choristes connaissent aussi la nuance piano, comme ces pèlerins venus des coulisses et traversant le plateau, dans un somptueux effet acoustique. Une formidable ovation salue l’ensemble des artistes au rideau final, un public debout et qui paraît jubiler de plaisir.

IF