Chroniques

par monique parmentier

Teseo | Thésée
opéra de Georg Friedrich Händel (version de concert)

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 12 février 2011
Patrick Cohën-Akenine joue teseo d'Händel au Théâtre des Champs-Élysées
© dr

Alors que l’Opéra national de Paris vient d’offrir un assez décevant Giulio Cesare de Händel que l’on ne connaît que trop bien [lire notre chronique du 23 janvier 2011], pour une unique soirée le Théâtre des Champs-Élysées présente au public parisien, en version concert, une œuvre du même compositeur, aussi rare que peu représentée à la scène et au disque : Teseo.

Adapté du livret du Thésée de Philippe Quinault pour Jean-Baptiste Lully [lire notre chronique du 25 février 2008], Teseo se compose en cinq actes. Il possède bien plus les spécificités d’une tragédie lyrique que d’un opera seria, car les airs y sont courts et la partition ne comprend pas d’aria di sortita *.

Une fois de plus, les rivalités amoureuses servent de trame à une œuvre dont les beautés méritaient réellement cette redécouverte. Deux jeunes héros, Agilea et Teseo, s’aiment. Mais avant de connaître une fin heureuse leurs amours, soutenues par les confidents Clizia et Arcane, doivent affronter des monstres et des situations dramatiques générées par la jalousie d’une magicienne cruelle, Medea, et celle du roi d’Athènes amoureux d’Agilea qui, en découvrant que Teseo est son fils, finira par renoncer à la jeune femme.

Superlative, la distribution est d’une homogénéité rare. Après un tout début de concert un peu incertain, où une note perdue mais rattrapée avec brio et une phrase oubliée mais qu’un réel esprit d’à-propos a permis de faire passer, ce Teseo [lire nos chroniques des productions saxonne (9 juin 2003) et niçoise (20 mars 2007)] trouve en cette soirée les interprètes d’une version idéale qui n’existait pas encore et dont on se prend à souhaiter qu’elle fasse l’objet d’un CD.

Si les dames, contrairement au titre, occupent la place centrale de cet opéra, les couples fonctionnent merveilleusement, tant scéniquement que vocalement. La jeune Emmanuelle de Negri est une Agilea tendre mais tenace, avec timbre à la clarté délicate et romanesque. Elle s’affirme vaillante face à la Médée déchaînée et terrifiante de Mary-Ellen Nesi. Cette dernière sculpte avec virtuosité les vocalises si difficiles de son rôle, faisant preuve d’une rage guerrière au phrasé vif d’une grande intensité. Ces deux héroïnes aiment Teseo qu’interprète Max Emanuel Cenčić, de retour à Paris en grande forme. D’une grande virtuosité dans les vocalises, son timbre et sa diction noble donnent au personnage une stature chevaleresque et poétique. S’opposant aux deux amants, l’Egeo de Xavier Sabata souffre parfois d’une légère inégalité de registre ; les aigus s’avèrent ardents, mais les graves paraissaient étouffés.

Quant aux deux confidents, loin d’être secondaires, ils occupent une place essentielle. Ana Quintans, au timbre rond et sensuelle, livre une Clezia fougueuse, épanouie et piquante, tandis que Damien Guillon se montre un amoureux courageux à la jalousie touchante. D’une fine musicalité, son timbre séduisant et la facilité de son chant händélien sont riches en promesses.

Face à de tels chanteurs, Patrick Cohën-Akenine se révèle discret et d’une grande sensibilité. Ce chef galvanise les énergies beaucoup plus par des choix artistiques et ses qualités de violoniste que par une baguette, même virtuelle. Ainsi offre-t-il une écoute chambriste à ses musiciens, encourageant la complicité et une confiance amicale en chacun. Le continuo – au théorbe, clavecin et violoncelle – infléchit de riches nuances permettant aux récitatifs de se développer avec aisance. Les Folies Françoises et ces six chanteurs pallient avec maestria et intelligence à l’absence de percussions et de cuivres. Les cordes étincelantes, le velours sombre des bassons et les flûtes et hautbois élégiaques servent avec brio la musique du Caro Sassone, donnant à la ligne de chant toute la lumière et la noblesse dont est imprégnée cette œuvre composée en Italie.

Attentif, comme hypnotisé par tant de talent, le public du Théâtre des Champs-Élysées attend la fin du concert pour faire un triomphe tant à l’œuvre qu’à ses interprètes.

MP

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aria di sortita : air censé clore une situation en permettant à son interprète de quitter l’avant-scène sous des tonnerres d’applaudissements