Chroniques

par emmanuel andrieu

Thaïs
opéra de Jules Massenet

Opéra de Toulon
- 12 octobre 2010
Thais
© frédéric stéphan

C'est finalement une rareté que cette Thaïs de Jules Massenet, programmée en ouverture de la saison toulonnaise. L'intrigue, tirée d'un roman qu'Anatole France publia en 1890 avec un énorme succès, est des plus simples. Après une vision qui l’investit d'une mission, le moine cénobite Athanaël décide de convertir la courtisane Thaïs qui fait régner la débauche sur la ville d'Alexandrie. Si, en lui faisant délaisser les plaisirs terrestres pour entrer dans un couvent, il parvient à ses fins, c'est pour mieux finir lui-même consumé par le désir. À la toute fin, alors que désobéissant à Dieu et reniant sa foi il lui déclare son amour, la belle meurt dans une extase mystique.

D'aucuns n'y voient qu'une histoire mi-sucrée mi-surannée, avec une partition qui comporte force tunnels, entrecoupée de ce tube qu'est la célèbre méditation, mais, pour notre part, jamais cette musique ne nous parait ennuyeuse, bien au contraire, tant son raffinement orchestral et ses couleurs chatoyantes continuent d'ensorceler nos oreilles à chaque nouvelle écoute.

Thaïs est incarnée ici par le magnifique soprano albanais Ermonela Jaho. Après avoir ébloui à Marseille dans les rôles-titres de Traviata et Manon, Jaho fait les délices des nombreux spectateurs. Le chantest d'emblée au diapason, tandis que l’aisance et la crédibilité de l'actrice convainquent. Unique, le timbre est rond et fruité, les aigus saturés d'harmoniques – les contre-ré de son grand air Dis moi que je suis belle ne posent aucun problème –, les piani comme aériens et la diction quasi parfaite, ce qui a toujours son importance dansce répertoire où sont essentielles déclamation et prosodie.

L'on n'en dira pas autant de l'Athanaël de Franck Ferrari, toujours autant fâché avec sa propre langue. Ceci posé, et contrairement à son catastrophique Ourriasà Orange (Mireille), le baryton niçois paraît en meilleure voix et maitrise mieux son instrument. Une fois échauffé, il gagne en ampleur et l’air air fameux du premier acte, Voilà donc la terrible cité, est acclamé par le public. L'acteur reste gauche et entravé dans ses mouvements par sa carrure athlétique.

Le rôle de Nicias est tenu par le ténor Dominique Moralez qui possède un aigu sûr mais dont la diction, souvent incompréhensible, gâche la prestation. Le timbre est flatteur et l'acteur nettement plus à l'aise que son confrère. Les jeunes chanteuses Laure Baert et Christine Tocci, dans les rôles de Crobyle et Myrtale, forment un duo efficace doté d’un chant soigné et délicat. Guillaume Dussau campe un Palémon d'une touchante sobriété et d'une authentique noblesse. Enfin, l'Albine de Christine Solhosse s’affirme bien chantante.

C'est l'ancien directeur de l'Opéra-Théâtre de Saint Etienne, Jean Louis Pichon, qui signe la mise en scène, après l'avoir montée dans sa ville, il y a deux saisons. Le premier tableau, très esthétique, est une vraie réussite. Le décor signé Alexandre Heyraud, superbement éclairé par Michel Theuil, montre un désert au ciel d'un bleu azuréen, image d'un grand effet. Les choses se gâtent par la suite en une sempiternelle salle de réception bourgeoise du XIXe siècle. Nous n'avons rien contre les transpositions, mais celle-ci relève plutôt de la paresse intellectuelle que d'une idée dramaturgique. La direction d'acteurs fait preuve de la même indolence. Les ballets, signés Erick Margouet, sont peu inspirés.

La direction de l’Italien Giuliano Carella, directeur musical de la maison, se révèle d'une qualité superlative, avec un Orchestre Toulon Provence Méditerranée en grande forme. Chatoyante et généreuse, sa lecture, qui évite tout rubato excessif, fait ressortir les richesses envoûtantes et les luxuriances orientalisantes de la partition. Une mention bien méritée, enfin, pour le violon solo délicat de Laurence Monti qui livre une méditation d'une riche sonorité, lyrique et expressive à la fois.

EA