Chroniques

par bertrand bolognesi

The Rake’s Progress | La carrière d’un libertin
opéra d’Igor Stravinsky

Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 5 mars 2008
© franck ferville | opéra national de paris

Convoquant une distribution globalement efficace, cette entrée de The Rake’s Progress de Stravinsky au répertoire de l’Opéra national de Paris bénéficie de la direction soignée et toujours soucieuse d’équilibre d’Edward Gardner, bien qu’un rien timorée. Il faut dire que le dispositif scénique pose parfois problème, exilant l’impact des voix en hauteur et en retrait, de sorte que le chef doit varier le volume de la fosse en fonction des aléas d’une topologie de plateau relativement capricieuse. On goûtera toutefois la grâce accordée aux phrases des bois et l’élégance des cordes.

Dans les petits rôles, on retrouve avec joie la voix facile et évidente d’Ales Bricsein en Sellem et l’impressionnante vigueur de la jeune basse Ugo Rabec en Gardien d’asile. Bien terne apparaît la tenancière Goose d’Hilary Summers, desservie par une émission des plus nonchalantes qui en scelle l’inconsistance. Jane Henschel offre à Baba la Turque une rondeur de timbre qu’elle s’ingénie avec superbe à magnifier, pour une composition qui fait tant plaisir à entendre qu’à voir. Immédiatement crédible dans son rôle de père bon et sévère, René Schirrer donne un Trulove pertinent, malgré un grave parfois léger. Bien qu’exécutant des récitatifs irréprochablement ciselés, Laurent Naouri n’honore guère les airs de Nick Shadow où l’on rencontre un placement vocal indécis et une intonation souvent aléatoire ; par ailleurs, le personnage manque cruellement de charisme.

Élégante, livrant une ligne de chant idéalement mozartienne épicée par une indéniable agilité vocale, Laura Claycomb est une Anne attachante, sans doute le seul rôle à retenir véritablement l’écoute et l’attention. Car, si Toby Spence avantage son Rakewell d’une clarté de timbre qui fait sa signature – une couleur de plus en plus séduisante – on s’étonnera qu’il l’incarne si superficiellement. À l’évidence, la direction d’acteurs s’en sera tenue à l’emporte-pièce d’une conception stéréotypée des personnages, réduisant chacun d’eux à l’emblème, quitte à les rendre tristement falots.

Et à parler de direction d’acteurs, venons-en à évoquer la réalisation d’Olivier Py. Les espaces y sont dès l’abord nettement définis. Ce qui est en haut est blanc et ventilé, lieu de bonheur amoureux et de projets honnêtes ; ce qui est au niveau de la scène apparaît sombre et dangereux, et c’est précisément là que s’installe le diable Shadow (le bien nommé), meneur de la danse dès les premières mesures. L’édénique diaphanéité de l’étage annonce à la fois la lourdeur du jugement dernier et la folie douce à le déjouer. On relèvera çà et là quelques idées, comme les trois plateformes qui s’éloignent après l’annonce de l’héritage, les grains s’échappant du sablier, l’image faustienne d’une chevauchée ou encore l’évocation de l’univers du cirque et de la revue où se combine heureusement la couleur musicale de la deuxième scène de l’acte médian.

Une nouvelle fois, Olivier Py s’affirme professionnel de la machine mise en scène, une machine bien huilée, comme le corps des lutteurs qui s’y exhibent, pour un résultat du même brillant que leurs cache-sexes. Les dés en sont jetés dès les premiers pas de la fable, de sorte que, non content de s’y ennuyer autant que nous par une absence criante d’esprit, d’humour et de sensualité – nul simulacre, aucun vice ni trouble quelconque dans le bordel de Mother Goose, pas même la crue pornographique de la collecte des corps –, le maître d’œuvre s’adonne à des dérives gaguesques – comme ce drapeau rouge grotesquement brandi sur les espoirs de la machine à changer les pierres en pains, sommes toutes ni plus ni moins pernicieuse qu’une certaine fable changeant l’eau en vin et multipliant les pains – qui, pour ne pas savoir faire rire, n’en ont pas la portée d’interrogations angoissées qu’on pourrait supposer à lire ces lignes.

Fallait-il qu’en art le terme professionnel rejoigne ici le sens qu’on lui prête en amour ? Ces représentations de Rake’s Progress n’ont pas grand’chose à nous dire.

BB