Chroniques

par bertrand bolognesi

Tomáš Netopil dirige l’Orchestre de Paris
œuvres de Chopin, Janáček et Strauss

Philharmonie, Paris
- 9 février 2017
Tomáš Netopil dirige l’Orchestre de Paris, Seong-Jin Cho massacre Chopin...
© dr

Comme il y a cinq ans à la salle Pleyel, le jeune chef tchèque Tomáš Netopil ouvre son concert à la tête de l’Orchestre de Paris par une page de Leoš Janáček. Si sa lecture de Taras Bulba s’imposait haut la main [lire notre chronique du 4 octobre 2012], on n’en affirmera pas autant de Suite de La petite renarde rusée, arrangée d’après l’opéra éponyme (1923) par Václav Talich (1937), ici jouée dans l’orchestration de Charles Mackerras (2006). Il manque une certaine couleur des cordes, cette demi-teinte suave pourtant dépourvue d’opulence. Dans l’effort de sécheresse, il n’obtient qu’une raideur trop rude. On goûte, en revanche, les traits de bois, flûte et basson en tête. Dans l’aura acoustique de la salle récemment baptisée Pierre Boulez – jusqu’à la prochaine réforme, comme on le vit faire de l’auditorium Olivier Messiaen de la Maison de Radio France, désormais studio 104, comme autrefois –, l’usage des timbales nécessite une prudence redoublée ; ce n’est pas le cas ce soir, si bien qu’à l’instar de pizz’ trop musclés des contrebasses, elles génèrent un surdosage bruiteux. C’est dommage, car certaines subtilités de timbre font par ailleurs l’objet du plus grand soin.

Débuté de moyenne façon, le concert se poursuit mal, avec une interprétation improbable du Concerto pour piano en mi mineur Op.11 n°1 de Fryderyk Chopin (1830), introduit très lourdement, dans un gros son pâteux. L’Allegro maestoso laisse percevoir cependant quelques phrases de clarinette et de flûte sainement fuselée. Le pire survient avec l’entrée en jeu de Seong-Jin Cho… Graves sur-pédalisés, aigus cliquetants, rubato sans fin, écoute auto-complaisante qui se pâme à ses propres affèteries, tempo d’une élasticité indescriptible, tout ce que l’on n’aurait pas osé imaginer se conjuguent dans cette version épuisante. Netopil suit benoîtement un soliste capricieux, puis engage la Romance médiane dans une incomparable tendresse des cordes où se détachent avantageusement des cors parfaits. Mais il y aura un piano, puisque c’est un concerto pour piano : celui-ci livre, dans une articulation qui cabotine effroyablement, un Larghetto informe jusqu’au vertige dont les motifs ornementaux sont cruellement heurtés. Pour finir, Seong-Jin Cho tente en vain de faire danser des enclumes. Rien qui n’empêche bravi et hourras d’un public qui applaudit entre les mouvements, vraisemblablement venu pour varier les plaisirs, entre blablas politiques et soirées vegan. Aucun doute, l’adresse est la bonne pour ces oreilles-là : sous les doigts du pianiste coréen le malheureux Clair de lune de Debussy est atrocement divertissant.

Avec si grande déception, ne pas quitter les lieux à l’issue de ce bis mielleux relève d’une conscience professionnelle que d’aucuns prétendront téméraire. La voilà grandement récompensée par une exécution tout à fait probante d’Also sprach Zarathustra Op.30. Depuis qu’on l’y entendit par Riccardo Chailly [lire notre chronique du 13 octobre 2015], la Philharmonie a inauguré son orgue symphonique Rieger dont l’élégante console blanche siège sur scène à l’arrière-gauche de l’orchestre. C’est donc avec un réel son d’orgue que peut retentir aujourd’hui la fameuse Tondichtung de Richard Strauss (1896). Tomáš Netopil n’en profite pas pour surjouer de grandiloquence, au contraire : sans donner dans le gigantisme, il dessine très précisément les pupitres, avec des échanges d’une clarté confondante. On admire la délicatesse inouïe du sextuor à cordes, mais encore des alliages timbriques d’une saveur fort travaillée. La verve narrative s’empare cordialement de l’œuvre dont elle dynamise adroitement chaque plan : tonicité, lyrisme, danse mystique et ferveur métaphysique sont au rendez-vous.

BB