Chroniques

par jérémie szpirglas

Tout Mahler, deuxième concert
Matthias Goerne, une réputation usurpée ?

Orchestre national de France, Daniele Gatti
Théâtre du Châtelet, Paris
- 17 décembre 2009
Matthias Goerne, une réputation usurpée ? Le baryton allemand déçoit beaucoup...
© marco borggreve

C’est toujours le même problème. Avec la critique, avec le buzz, avec le star-système qui est aujourd’hui la règle dans notre monde musical. Jusqu’à ce soir, l’auteur de ces lignes n’avait entendu de Matthias Goerne que beaucoup de bien et quelques échantillons sonores, enregistrements sous diverses formes, le plus souvent prometteurs. Sa présence à ce deuxième concert du cycle Mahler entrepris par Daniele Gatti et l’Orchestre national de France, pour la première partie desKnaben Wunderhorn Lieder (deuxième partie prévue le 17 juin prochain, en prélude à la Symphonie n°4), présence d’ailleurs annoncée à grand renfort de presse, paraissait donc l’occasion idéale pour l’entendre pour la première fois de vive voix. Plein d’attentes et d’idées reçues (principalement positives), nous voilà donc au Théâtre du Châtelet, en cette neigeuse soirée, disposés à passer une bonne, voire excellente soirée, en tout cas mémorable.

Elle le sera, mais pas tout à fait comme attendue.
Quelle déception, en effet, d’entendre ce baryton gesticulant – et qui semble un peu trop compter sur sa présence scénique pour faire passer l’émotion –, gêné dans le bas du registre, d’une projection plus que douteuse dans les graves, et sans grande nuance dans ses phrasés ! Certes, sa voix et son timbre sont merveilleux, surtout dans le medium – il faut se rendre à l’évidence, il n’y a là que des compliments mérités. Mais comment ne pas déchanter en entendant des inflexions forcées et, surtout, une incompréhensible absence d’écoute ? Lorsqu’il chante, Matthias Goerne semble être tout à fait indifférent à l’accompagnement orchestral. Ne prêtant qu’une attention toute relative aux phrasés des musiciens, voire à la mise en place, il laisse Gatti tenter de recoller les morceaux. Cette attitude est d’autant plus incompréhensible que les Knaben Wunderhorn sont truffés d’unissons, le chanteur dialoguant tour à tour avec les solos de bois, de cuivre ou de cordes.

Bien sûr, on ne peut pas juger d’un artiste sur une unique soirée, et rares sont ceux qui chaque jour se montrent au mieux de leur forme. Bien sûr, il fait bien froid, aujourd’hui, à Paris – la neige recouvre les trottoirs, épuisante. Bien sûr, la direction de Daniele Gatti n’est pas, dans cette première partie, des plus satisfaisantes, et l’orchestre n’est pas non plus des plus réactifs, laissant une impression hésitante et précautionneuse plus que bancale. Il n’en demeure pas moins que Goerne manque de finesse dans Urlicht, alors même que les timbres de l’orchestre, d’une blancheur lumineuse, y sont presque magiques, et passe à côté de la beauté simple et nue de ce murmure chantonné.

On aurait bien tord de rejeter la responsabilité de cette première partie en demi-teinte sur le seul orchestre : il sera magistral après l’entracte, dans la Symphonie n°1 dite Titan. La baguette de Gatti y retrouve sa verdeur et son humour, et l’orchestre son répondant. Le premier mouvement est parfait : tout se réveille en douceur, sourit et s’illumine sans peine. Les solos y sont justes et retenus, les tutti onctueux et pleins. Plein de tact, Gatti pose chaque couleur comme du bout d’un fin pinceau, ménageant, pour plus d’effets et de puissance, d’impressionnants contrastes entre les pupitres (et même des contrastes de tempo).

Le second mouvement est empreint d’une grâce un peu empesée, aussitôt suivi d’un Frère Jacques de grande tenue. Le fugato est exquis, chaque entrée se faisant de moins en moins enfantine – et le hautbois sautillant, importun et nasillard. Avec l’arrivée des cuivres commence comme une fête triste, un carnaval sous la pluie. Puis, après un Trio débordant de lyrisme, la marche reprend, imperturbable, inéluctable, spectacle macabre et grotesque d’un cortège de clowns en deuil. Le final est un geste ample, sinon généreux, d’une véhémence pénétrée et habitée qui se débridera dans une coda déchainée. Force est de constater que l'ONF a adopté Daniele Gatti et que ledit Gatti en a bien les acteurs en main. En attendant la Résurrection, le 4 février prochain…

JS