Chroniques

par gilles charlassier

Un ballo in maschera | Un bal masqué
opéra de Giuseppe Verdi

Grand Théâtre, Genève
- 13 juin 2019
Giancarlo Del Monaco met en scène "Un ballo in maschera" (Verdi) à Genève
© gtg | carole parodi

Ultime production du mandat de Tobias Richter au Grand Théâtre de Genève, Un ballo in maschera, réglé par Giancarlo Del Monaco, résume, au diapason de l’ensemble de la saison, des équilibres habiles et subtils d’une programmation avide de découvertes, tout en rassurant, régulièrement, une frange plus conservatrice du public. Tout le sel du spectacle tient au choix du livret princeps d’Antonio Somma – qui s’appuie sur Gustave III ou Le bal masqué de Scribe et mis en musique par Auber – sur lequel Verdi avait composé son ouvrage, avant les altérations onomastiques exigées par la censure napolitaine – laquelle a finalement privé le Teatro San Carlo de la première, reportée alors à l’Apollo de Rome. Si l’impact sur la partition reste anecdotique, la perspective dramaturgique ne manque pas d’intérêt, renouant avec la soif de sources historiques dont témoigne l’opéra romantique, lequel laisse parfois la muse gloser sur les intrigues et les sentiments, mais non sur la réalité de personnages.

Dessinés par Richard Peduzzi et rehaussés par les pénombres expressives que modulent les lumières de Caroline Champetier, les décors se révèlent d’une économie maximale en accessoires que ne contrediront pas les costumes sobres, pour lesquels Gian Maurizio Fercioni a brodé un pastiche épuré autour de la mode du siècle des Lumières finissant. Habillés d’ombres, les panneaux de bois clair traduisent la distance d’un pouvoir dont les mœurs ne sont pas entièrement éludées, avec quelques manières quasi chorégraphiques du page, tandis que la noire roche sert de promontoire dans la lande stérile de l’Acte II, avant de suggérer les murailles de la ville. L’ensemble tire habilement parti des conventions théâtrales, jusque dans la scène finale, sans négliger une élégance éclairée dans des tamis çà et là un rien sédatifs.

Au sein d’une distribution estimable, c’est d’abord le Comte Anckarström de Franco Vassallo qu’on retiendra [lire nos chronique d’I puritani, Lucrezia Borgia, Caterina Cornaro, Rigoletto, Don Carlo, La forza del destino et Le trouvère (en version française)]. Le baryton italien affirme une puissance parfois un peu fruste qui restitue admirablement la rudesse des sentiments du mari trompé. Son grand air du troisième acte fait éclater une vigueur vindicative, portée par une évidente robustesse de moyens qui ne sacrifie cependant jamais la justesse du style. En Gustavo III, Ramón Vargas déploie l’éclat sensible d’un timbre identifiable, dans une ligne nourrie, sinon méridionale, qui compense certaines gaucheries dans l’incarnation – le Mexicain appartient aux ténors dont la voix et la couleur concentrent l’attention [lire nos chroniques d’Idomeneo, Un ballo in maschera, Medea in Corinto, Ernani, Don Carlo et Jérusalem]. Irina Churilova dévoile les tourments d’Amelia avec un investissement qui n’ignore pas la délicatesse des affects et des remords. Judit Kutasi imprime une Ulrica à la pâte charnue et sonore, mais non caricaturale [lire nos chroniques de Salome et de la Neuvième de Beethoven]. Kerstin Avemo fait retentir le babil courtisan et aérien d’Oscar [lire nos chroniques d’Orfeo, Julie, de la Huitième de Mahler, Der Rosenkavalier, Don Giovanni et Futari Shizuka]. Güneş Gürle et Grigory Shkarupa [lire nos chroniques de Parsifal et King Arthur] forment, en Ribbing et Horn, un duo comtal comploteur. Préparé par Alan Woodbridge, avec la précision qu’on lui connaît, le Chœur du Grand Théâtre de Genève fournit les interventions de Cristiano (Nicolas Carré), du Serviteur d’Amelia (Georgi Sredkov) et du Ministre de la justice (Nauzet Valerón).

Dans la fosse, Pinchas Steinberg et les pupitres de l’Orchestre de la Suisse Romande livrent l’essentiel d’une partition qui pourrait résonner avec un supplément de passion. Un beau spectacle de clôture, avec une juste dose de consensualité.

GC