Chroniques

par bertrand bolognesi

Un chien andalou – Las Hurdes, tierra sin pa | Terre sans pain
films de Luis Buñuel – musiques de Martín Matalon

Auditorium du Louvre, Paris
- 13 mars 2005
Un chien andalou et Las Hurdes, deux ciné-concert Buñuel – Matalon
© dr

Quelques semaines avant la création de Yann Maresz pour Paris qui dort de René Clair, le Louvre reçoit les solistes de l’Ensemble Intercontemporain pour la projection de deux films de Luis Buñuel : le célèbre Chien andalou de 1928 et le plus secret Las Hurdes réalisé cinq ans plus tard. Le compositeur argentin Martín Matalon est désormais un habitué de la toile, avec à son actif plusieurs partitions pour le cinéma : La rosa profunda dans le cadre d'une exposition Jorge Luis Borges au Centre Pompidou, Metropolis pour le film de Fritz Lang (1927), inaugurant en 1996 un cycle Buñuel avec Las siete vidas de un gato pour huit musiciens et électronique (dont il existe une version pour orchestre) destiné à soutenir le premier des deux plus fameux objets surréalistes du réalisateur, soit Un chien andalou.

Profuse, la pièce s'ingénie à discrètement souligner certains impacts psychologiques des images, tout en obéissant au rythme effréné de leur montage. Si son exécution fonctionne assez bien avec le court-métrage, l’on aurait pu aller plus loin encore, en s'inspirant d'une certaine manière de conjuguer l'incongruité, de déplacer les motifs (les aisselles d'une femme deviennent la bouche d'un homme, etc.), de fondre les associations d'idées, pour imaginer une transmutation du matériau. Emmanuelle Ophèle à la flûte, Jean-Jacques Gaudon à la trompette, Alain Billard à la clarinette, le violon de Jeanne-Marie Conquer, le violoncelle de Eric-Maria Couturier et les doigts du pianiste Hideki Nagano, dynamisés par Michel Cerutti et Samuel Favre aux percussions, en donnent une lecture à l'effervescence adamantine.

Il y a trois ans, Matalon achevait Le Scorpion pour piano, six percussions et dispositif électronique [lire notre chronique du 27 mars 2003], destiné à L'Âge d'or, réalisé par Buñuel en 1930, grâce à l'injonction de Charles de Noailles. En abordant à présent Las Hurdes par Traces II (La cabra) pour alto et électronique en temps réel, il constitue une sorte de triptyque Buñuel, tout en poursuivant une recherche personnelle, à travers les Traces.

Tout commence par les séjours réguliers qu'un directeur de l'Institut français de Madrid, Maurice Legendre, effectue dans une région méconnue, extrêmement pauvre et arriérée de l'Espagne : les Hurdes. Legendre publie une thèse sur le sujet en 1927, Yves Allégret en conseille la lecture à Buñuel quelques années plus tard et, au printemps 1933, le cinéaste et deux amis s'installent dans ces lieux désolés pour tourner un essai cinématographique de géographie humaine, comme l'annonce le texte qui ouvre le film (reprenant le titre de la thèse de Legendre).

Avec un prélude énigmatique aux images, et après celles-ci une coda rageuse, Traces II distille un halo inquiet à la projection, désignant le plus pudiquement qui soit la mise en scène de la misère, avec beaucoup de soin et d'à-propos. La sonorité générale est tout âpreté, à l'inverse de la relative plasticité du Scorpion. Lorsque le texte dit « détail curieux : dans les villages des Hurdes, nous n'avons jamais entendu une chanson », l'alto amorce une mélodie désolée et rauque qui, sans faire mentir le commentaire, vient activement déjouer la tentation d'illustration. De même le seul moment de vrai silence, comme une respiration dramatique, vient-il renforcer l'effet glaçant de l'exposition dépassionnée et clinique des effets de la piqûre de l'anophèle.

À l'alto, Odile Auboin prête un concours attentif et minutieux à cette projection malencontreusement desservie par les nombreuses inexactitudes et les bafouillements hasardeux de Michael Lonsdale, acteur éminemment buñuélien s'il en est, ici récitant prestigieux autant qu'inefficace.

Deux autres œuvres de MartínMatalon ponctuent la séance : Formas de Arena écrite en 2001, pour l'exécution de laquelle la harpiste Frédérique Cambreling rejoint l'altiste et la flûtiste susnommées, et Dos formas del tiempo, son aînée d'un an, magnifiquement servie par le jeu d’Hideki Nagano qui en révèle les différents plans sonores, le déchaînement dynamique et la trame fascinante.

BB