Chroniques

par laurent bergnach

Underground | Métro
film d’Anthony Asquith – musique d’Oscar Stranoy

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 22 janvier 2012
Underground, film d’Anthony Asquith et musique d’Oscar Stranoy
© dr

« Le cinéma, rappelle Oscar Strasnoy dans le programme de cette vingt-deuxième édition Présences qui lui est consacré, est un hybride entre l’art et ce que les Américains appellent justement l’entertainment. Il y a de très bons films qui peuvent être classés dans la rubrique art et en même temps dans la rubrique entertainment. Idem pour la musique. Il n’y a que notre époque pour nier ces deux aspects de la vie et bannir une musique à partir du moment où elle est divertissante. » Ouvrant la voie à d’autres compositeurs de sa génération à l’Auditorium du Louvre – Thierry Pécou (Nanook of the North, 2005), Kasper T. Toeplitz (Von Morgens bis Mitternachts, 2006), Misato Mochizuki (Le fil blanc de la cascade, 2007), etc. –, l’Argentin y fait créer sa musique d’accompagnement pour un film muet, Underground, le 17 septembre 2004. À bien des égards, ce deuxième long métrage réalisé en 1928 par le Britannique Anthony Asquith (1902-1968) illustre cette hybridation évoquée par le musicien, avec sa double ambition esthétique et populaire, qui mêle humour discret et suspense exponentiel.

Dans le cadre étrange et familier d’un métro souterrain emprunté tous les jours par la classe moyenne, un quatuor amoureux est lentement mis à jour, incarné par Elissa Landi (Nell), Cyril McLaglen (Bert), Brian Aherne (Bill) et Norah Baring (Kate). Nell est jeune vendeuse d’un grand magasin sur laquelle Bert, séducteur impénitent, jette son dévolu. Elle ne semble pas indifférente à cette cour un peu grossière avant de réaliser que c’est Bill, un employé du métro, qui fait battre son cœur. Le badinage amoureux de la première partie laisse alors place à un plan de vengeance orchestré par le mauvais perdant. Suite à une bagarre de bar avec l’heureux élu, il convainc sa petite amie du moment, la naïve couturière Kate, de salir Bill aux yeux de Nell…

Underground est le genre de film dont on ne connaît pas l’existence si l’on n’est pas cinéphile à part entière, et qui surprend par une maîtrise qui le range d’emblée parmi les grands classiques du cinéma, tant tout y est dosé avec talent. On en apprécie la modernité qui s’appuie sur le fond (la drague entre inconnus) comme sur la forme (le jeu fluide des comédiens moins empreint d’expressionnisme). D’influence allemande et russe, ce dernier s’invite cependant par touches surprenantes : un paquet qui dévale la pente entre deux escalators, les ombres d’un couple derrière un autre qui en est dépourvu, une scène vue dans un miroir invisible que l’on va briser, etc. La fin du film, outre de dévoiler le métier du séducteur, semble le brouillon de plus d’un James Bond actuel, puisqu’une ultime confrontation virile nous entraîne des toits d’une centrale électrique à la charpente d’une grue pour finir dans un ascenseur du métro.

Outre quelques images sonores d’Edgardo Rudnitzky (eau, oiseaux, chien), la partition fait entendre la guitare de Pablo Marquez, Gabriel Said à la percussion et le compositeur lui-même au piano – tous membres d’Ego Armand, un ensemble né à l’occasion de la présentation au Louvre et qui intègre depuis le contre-ténor Daniel Gloger [lire notre chronique de la veille]. Un rythme soutenu, quasi répétitif, dépeint l’ambiance urbaine du sous-sol, tandis que des accords plus aérés servent aux scènes intimistes – le summum étant le calme dans l’appartement de Kate, à l’écoute des aiguilles du temps qui passe (leitmotiv strasnoyen) ou encore les silences répondant aux instruments aperçus à l’écran. Sèche, parfois mandibulaire, la percussion apparaît métallique et omniprésente sur la course-poursuite finale, contribuant à une tension paroxysmique.

LB