Chroniques

par hervé könig

une rentrée française
Orchestre national de France

Stéphanie d’Oustrac, Jean-Yves Thibaudet, Stéphane Denève
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 15 septembre 2016
Stéphane Denève dirige le 1er concert 2016/17 de l'Orchestre national de France
© uwe ditz | swr

Stéphane Denève retrouve ce soir une phalange un rien pataude qu’il avait peut-être laissée en de meilleures dispositions après la Symphonie n°3 de Roussel, il y a deux ans [lire notre chronique du 27 novembre 2014]. Après huit années de bulldozer à sa tête, l’Orchestre national de France aura vraisemblablement besoin de temps pour réapprivoiser la musique française que son précédent patron avait sacrifiée à sa systématique « brucknérisation » d’un très envahissant répertoire germain – le souvenir d’une piètre Liturgique d’Honegger, au printemps, ne plaide guère en sa faveur [lire notre chronique du 9 juin 2016].

Le concert de rentrée de l’ONF est intégralement français, comme pour écouvillonner ses moyens qu’il faut urgemment débarrasser de trop nombreuses mauvaises habitudes. Avant l’apparition de son prochain directeur, Emmanuel Krivine (qui jouera Dvořák et Rachmaninov en janvier prochain), ses musiciens fréquenteront assidument nos couleurs dans des pages de Debussy, Lalo, Milhaud, Poulenc et Saint-Saëns conduites par David Afkham, Jean-Claude Casadesus, Fabien Gabel, Giancarlo Guerrero, Bernard Haitink et André Orozco-Estrada, Maurice Ravel étant le compositeur le plus présent de son début de saison.

Musique française, orchestre français, cantatrice française, enfin pianiste français… il souffle un vent plutôt cocardier sur le bel Auditorium de la maison ronde ! Pas de vilaines conclusions : la soirée est ouverte par les Escales de Jacques Ibert dont, suite à sa désertion au début de la guerre, la musique serait interdite dès 1940 par le régime de Pétain. Escales est un triptyque imaginé lors d’une promenade en Méditerranée, créé par Paul Paray en 1924. Le geste de Stéphane Denève invite lisiblement élégance et sensualité dans Rome, Palerme, mais la réponse des pupitres reste corsetée. L’Orient n’est pas au rendez-vous de Tunis, Nefta, la pièce centrale, et le ciel de Valencia semble amidonné.

Bénéficiant encore de l’exécution qu’il en donnait cet été à Montpellier, sous la battue de John Neschling [lire notre chronique du 23 juillet 2016], l’Orchestre national de France se révèle plus à son aise dans le Concerto en fa majeur Op.103 n°5 de Camille Saint-Saëns (1896). En fin connaisseur de cette œuvre qu’il a beaucoup jouée ici et là, Jean-Yves Thibaudet amorce avec grâce l’Allegro animato dont il magnifie l’élucubration virtuose. Bois et cuivres de l’ONF échangent aimablement avec le soliste. L’hymne amoureuse de l’Andante gagne une ferveur incroyable sous les doigts du pianiste, tandis que les cordes, luxueuses, dansent magnifiquement. Pour finir, le redoutable Molto allegro est presque cinématographié !

Autre soliste de ce concert, le mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac offre à Ravel un timbre toujours plus fauve à mesure que la carrière se développe en dehors de la sphère baroqueuse et de sauts de registre parfois curieux (Mélisande et La voix humaine ne sont pas dans sa voix, ce qui ne l’empêcha pas de les chanter, comme ci ou comme ça). Avec une diction idéale, elle sert les trois poèmes de Shéhérazade (1903) mais en escamote un peu la ligne musicale, très serrée. C’est dommage, car à l’inverse l’orchestre est à son sommet dans une interprétation infiniment chatoyante qui dessine fidèlement l’écriture des timbres. En habituée de la scène, c’est par la gesticulation et une mise en bouche qui fait un sort à chaque mot que s’en sort d’Oustrac, roulant des yeux comme de tout le reste pour mieux aguicher un public peu nombreux.

En 1907, le Lorrain Florent Schmitt signe la pantomime musicale La tragédie de Salomé d’après les vers de son ami le comte Aymeric Robert d’Humières. La création eut lieu en novembre de la même année, sous la battue d’Inghelbrecht. Plus tard, il en extrait une Suite d’orchestre dont la première fut donnée sous la baguette de Pierné (8 janvier 1911). Alors qu’Ibert fuirait en 1940 la France collaborationniste, Schmitt affirmerait des opinions clairement hitlériennes dès l’avènement du nazisme à la Chancellerie berlinoise. Un titre honorifique lui sera même réservé au sein de Collaboration, groupement des énergies françaises pour l'unité continentale, organisation activement soutenue par un grand ami du triste Drieu La Rochelle, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris Otto Abetz. En 1911, le musicien n’a pas encore sombré dans cette dérive qui lui valut quelques ennuis après 1945. Stéphane Denève a beau faire, sa lecture n’atteint pas le niveau d’expressivité de celle de Jean Martinon.

HK