Chroniques

par laurent bergnach

Une vie de rêve(s)
spectacle de Bruno Boulzaguet – musique de Jean-Christophe Ferdhandler

Théâtre 71, Malakoff
- 12 mai 2011

Né en Suisse alémanique en 1875, Carl Gustav Jung (re)connaît la double influence d’une tradition cléricale et médicale qui explique un intérêt grandissant pour l’introspection et le paranormal : chirurgien d’avant-garde, son grand-père fonde un établissement pour les enfants handicapés mentaux ; son père, pasteur luthérien, devient aumônier d’un hôpital psychiatrique à Bâle ; enfin, sa mère dépressive s’avère férue de spiritisme tandis que sa cousine Helly est reconnue médium. Souvent livré à lui-même, le jeune Jung passe son temps dans la bibliothèque familiale, alternant ouvrages d’imagination, textes théologiques et scientifiques. Sa connaissance des mythes universels aidera ce pionnier de la psychologie des profondeurs à souligner le lien entre structure de la psyché (ou âme) et ses manifestations culturelles.

En 1895, un an avant la mort brutale de son père, Jung s’inscrit à la faculté de médecine où il se passionne pour l’anthropologie et l’archéologie, tout en souhaitant étudier les phénomènes dits occultes par l’intermédiaire de la médecine psychiatrique. Sa thèse achevée, Jung poursuit des recherches sur les associations de mots, le somnambulisme médiumnique et les complexes, tout en engageant une correspondance avec Freud – théoricien qu’il lit avec passion puis accuse de « matérialisme scientifique », avant la rupture de 1913. En 1905, il accède à la Chaire de psychiatrie de l’Université de Zurich et acquière une solide réputation, tout d’abord par son aide sur des affaires judiciaires puis comme partisan d’un inconscient collectif. Et ce n’est d’un début !

Quelques années avant sa mort en juin 1961, alors âgé de quatre-vingt trois ans, l’apôtre de la synchronicité accepte de confier sa vie à sa secrétaire, l’analyste Aniéla Jaffré – « Ce n'était pas une entreprise facile, dira-t-elle, tant était connue l'aversion de Jung pour faire de la publicité sur sa vie ». Il en résulte Erinnerungen, Träume, Gedanken (Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées), une œuvre profondément personnelle qui tient lieu d’autobiographie, dans laquelle Jung expose ses expériences intérieures, en particulier les rêves par lesquels « nous pénétrons dans l’être humain plus profond, plus général, plus vrai, plus durable, qui plonge encore dans la pénombre de la nuit originelle où il était tout et le Tout était en lui, au sein de la nature indifférenciée […] ». Il en rédige lui-même quelques chapitres.

Adaptant cet ouvrage et Un mythe moderne (1958) qui traite de la vision d’OVNI, Bruno Boulzaguet – sur scène avec John Arnold – présente le psychanalyste à trois ans, onze ans, trente-quatre ans… Si la succession de différents rêves et souvenirs met en évidence récurrences et préoccupations – eau, métal précieux, passage, espace-temps et apesanteur (mouette, météorite, etc.) –, trois récits de l’adulte de trente-sept ans sont particulièrement marquants, sans doute parce qu’ils coïncident avec une période de désorientation – rupture avec Freud, expériences de régression –, sur la « voie qui [l]e menait vers [s]on mythe ».

Malheureusement, Une vie de rêve(s) transforme un sujet en or en une heure de plomb, en premier lieu par la volonté du rire à tout prix – recourant aux tics du one man show ou du vaudeville –, si bien qu’on finit par ne plus rire avec Jung mais contre lui. En ces temps de lynchage freudien, il faut savoir choisir son camp avec moins de nuances… À tous ces épisodes, Jean-Christophe Feldhandler (petite percussion, piano jouet, etc.) et Anne Gouraud (contrebasse et voix) offrent des climats variés mais leur omniprésence prive de relief un spectacle bien décevant, orienté vers l’anecdotique.

LB