Chroniques

par bertrand bolognesi

Vivaldi par l’Orchestra da camera italiana
Marijana Mijanović, Salvatore Accardo, Laura Gorna et Jian Wang

Verbier Festival and Academy / Médran
- 29 juillet 2005
Marijana Mijanović chante au Festival de Verbier
© mark shapiro

Il y a neuf ans, dans un souci pédagogique – une préoccupation qui est au cœur du festival suisse – fut créé l'Orchestra da Camera Italiana par Bruno Giuranna, Franco Petracchi, Rocco Filippini et Salvatore Accardo. La formation propose une soirée entièrement consacrée à la musique de Vivaldi, introduite par le Concerto en ré mineur pour deux violons RV514 dont les solistes sont maestro Accardo lui-même etLaura Gorna. Entendre ce répertoire dans une approche classique surprend, alors que le renouveau baroque aura bientôt quarante ans. Si l’on parvient à oublier cette donnée, on goûte un certain équilibre dans l'Allegro non molto initial, une amabilité quasi mozartienne dans l'Adagio central, et un troisième mouvement « bien élevé ». Voilà qui nous est fort inhabituel, mais plutôt que de hurler à l'anachronisme, à la faute de goût ou au manque de style, il conviendra de se souvenir que la redécouverte de la musique du Rouquin, dans les années quarante, s'est forcément faite par le biais d'interprétations qui rendraient chèvres quelques-uns de nos grands prêtres baroques actuels.

Vincent d'Indyavait quelques chose comme trente-cinq ans lorsque naquit le futur grand violoncelliste et pédagogue exceptionnel que serait l'ardennais Paul Bazelaire, fils du poète des mêmes noms et prénoms, bien connu des deux côtés de la frontière à l'époque (la famille habitait Sedan). Enfant prodige, il tâtera avec succès du piano et de l'orgue – et avec Louis Vierne, s'il vous plait –, terminera ses classes d'harmonie à dix-sept ans, couronnant ses études d'un premier prix de fugue et de contrepoint deux années plus tard. Le jeune homme parcourt le monde et joue devant des personnages illustres comme l'Archiduchesse Isabelle d'Autriche, le Kaiser Wilhelm II, le Pape Pie X et même le Tsar Nicolas II. Interprète de la littérature pour violoncelle, et principalement celle de son temps (notamment le Concerto de Saint-Saëns qu'il promène de salle en salle), Bazelaire fut aussi compositeur et produisit plus d'une centaine d'opus, naturellement dédiés en majorité à son instrument (convoqué en solo, avec piano, avec orchestre ou formant ensemble avec ses semblables), mais pas uniquement, puisque son catalogue compte des pièces pour piano, pour orchestre, pour orgue et même pour harpe, et de nombreuses pages chantées, pour voix soliste ou pour chœur.

Parce qu'alors on aimait tout jouer, Paul Bazelaire réalisa une quantité respectable de transcription d'œuvres de Lully, Marais, Marchand ou Stradella, ce qui démontre un certain intérêt pour la période baroque, et l'adaptation de la Sonate en mi mineur n°5 RV40 de Vivaldi en Concerto pour violoncelle et orchestre, écrite à quatre mains avec d'Indy. On ne sera donc ni surpris ni choqué d'y entendre des accents début de siècle, du reste charmants, fleurant quelque peu son Franck et son Fauré.

Jian Wang ouvre unLargo somptueux dans une sonorité idéale pour une phrase solo wagnérienne, Accardo jouant parfaitement les circonstances de cette musique, avec autant de grâce que de pertinence. Très nuancé, l'Allegro est proprement bondissant, tandis que le second Largo, à peine articulé, s'exprime sur un souffle émouvant qui happe l'écoute. Le dernier mouvement est mené simplement, allant son train assez naturellement, et parachevant dans l'évidence le plus beau moment de ce concert.

Épaules nues, jupe topaze et bustier noir, le mezzo-soprano Marijana Mijanovićfait une entré remarquée sur le plateau du Médran. Elle se lance sans plus de cérémonies dans Nel profondo extrait d'Orlando furioso. Si l'on retrouve avec plaisir l'inestimable homogénéité de cette voix au timbre riche, une ornementation plutôt chiche dans un da capo assez terne laisse sur sa faim. D'Andromeda liberata, la cantatrice donne ensuite Sovente il sole dans une appréciable égalité. La langueur spécifique de cette aria lui est facile et, y alternant unlegato qu'on pourra dire « blanc » et unvibrato plus généreux, sa prestation s'avère du meilleur effet. On déplore cependant, à nouveau, un da capo identique à l'exposition. Pour finir, elle libère une voix plus pleine dans la cantate Cessate, omai cessate RV684, offrant un arioso et un recitativo particulièrement expressifs. Dans les deux arie, Marijana Mijanovićose enfin ce qu’on attend dans les extraits d'opéras : utilisant la partition et le texte pour se faire plaisir autant qu'au public, elle virevolte d’ornements en variations, magnifiquement réalisés, affirmant toutes les harmoniques de son organe.

Salvatore Accardo et l'Orchestra da Camera Italiana prennent congé avec Le quattro stagioni, un défi qu'il aurait sans doute mieux valu ne pas relever. Aussi garderons-nous en mémoire la fort belle interprétation du Concerto en mi mineur pour violoncelle et orchestre de Vivaldi-Bazelaire-d'Indy.

BB