Chroniques

par bertrand bolognesi

André Lischke
Histoire de la musique russe – Des origines à la révolution

Fayard (2006) 792 pages
ISBN 978-2-213-62387-0
Histoire de la musique russe, des origines à la révolution, par André Lischke

Une nouvelle fois, André Lischke signe une somme considérable qui s'impose dès l'abord comme une référence absolue sur laquelle pourront compter mélomanes, musiciens, musicologues et musicographes. Après Tchaïkovski et Borodine, c'est à toute la musique russe que l'auteur introduit, faisant la preuve qu'elle n'attendit pas la naissance de Glinka pour voir le jour, contrairement à une tenace idée reçue.

Il faut près de huit cents pages au présent ouvrage pour mener le lecteur des prolégomènes païens au chant religieux du Xe siècle jusqu'au chant orthodoxe d'aujourd'hui. Souvenons-nous de l'étude approfondie et pertinente de Lemaire, intitulée Le Destin russe et la musique, un siècle d'histoire de la Révolution à nos jours, paru chez le même éditeur, il y a deux ans [lire notre critique de l’ouvrage] ; de même qu'il revenait sur un contexte préalable, le livre de Lischke se prolonge au delà de la stricte observance de la datation de son sujet.

Alors que, dans le logique prolongement des prémices scriabiniennes, Vychnegradski aborde la microtonalité loin de la mère patrie, Chostakovitch résiste à travers des délices mahlériennes au diktat qui musèle les compositeurs officiels. Avant Diaghilev et ses Ballets russes, il y eut les grands romantiques dont les héritiers se sont exprimés dans le même temps que les modernes les plus radicaux ; ainsi Rachmaninov et Medtner furent-ils contemporains de Prokofiev et Stravinsky. Mais la génération précédente s'était tournée vers le passé russe, trouvant son inspiration dans la légende, le folklore et, parfois, le sacré ; on pourrait bien qualifier de symboliste leur expression, à une époque où Tchaïkovski intégra des traditions européennes qui lui furent reprochées. Plus tôt encore, de nombreux Italiens fournirent à la cour russe des musiques à la mode étrangère, tandis que le répertoire sacré pérennisait d'autres sources.

Une exploration détaillée, précise, fouillée, prudente et clairvoyante dépasse cette troublante dualité qui ne parait effective que si l'on considère l'histoire comme une évolution linéaire, ce qu'elle ne saurait être. La richesse du sujet est immense, qu'on s'attache au répertoire profane ou à la musique sacrée, largement étudiée ici.

Dans son introduction, Lischke écrit qu'il « était temps de rassembler la musique russe en un tout et de lui rendre l'existence réelle qu'elle a eue dans l'histoire de son pays » ; c'est désormais chose faite… et remarquablement !

BB