Chroniques

par laurent bergnach

Antonín Dvořák
pièces avec cordes

1 CD Tudor (2015)
7187
L'Ensemble Scharoun joue des pièces avec cordes signées Dvořák

Né dans un village au nord de Prague, Antonín Dvořák (1841-1904), l’aîné des huit enfants du boucher František, envisage d’abord de reprendre le commerce paternel avant d’aborder la musique, au début de l’adolescence. Avec le kantor Liehmann, à Zlonice, il découvre l’alto, le piano et l’orgue, ainsi que des rudiments de composition. Il gagne alors Prague, intègre son École d’orgue – où on l’humilie pour sa méconnaissance de l’allemand, langue officielle –, puis les orchestres d’Anton Apt et de Karel Komzák qui le familiarisent avec l’univers savant (Liszt, Wagner) et celui des polkas. À partir de 1871, grâce à des leçons particulières, Dvořák peut se consacrer entièrement à la composition, et conquérir le monde – l’Ancien et le Nouveau !

Sa musique de chambre comporte nombre de pièces pour cordes affranchies de l’encombrant piano – citons les quatorze quatuors, élaborés entre 1862 et 1895. Écrit entre la première série de Danses slaves Op.46 et le Sextuor Op.48, soit du 1er au 12 mai 1878, Bagatelles Op.47 intègre cependant un harmonium au charme unique – « presque tendre et naïf », dit Erismann dans les pages qu’il lui consacre [lire notre critique de l’ouvrage] –, instrument possédé par le musicographe Josef Srb-Debrnov qui abritait des réunions musicales. Lors de la création du 2 février 1879, l’auteur lui-même est au clavier, cerné par deux violons et un violoncelle.

Conçu lui aussi pour l’usage domestique, au début de janvier 1887, Terzetto en ut majeur Op.74 réunit deux violons et un alto. Sans pression extérieure, un Dvořák en parfaite tranquillité d’esprit mène à bien son projet, avec autant de plaisir que s’il travaillait à une symphonie – rappelons qu’il fut un temps où on en comptait seulement cinq, au lieu des neuf attribuées depuis le milieu du XXe siècle. Quelques semaines après l’oratorio Sainte Ludmila Op.71, les Praguois découvrent cette page intimiste mais complexe, le 30 mars 1887.

La dernière œuvre au programme est le Quintette en sol majeur Op.77 n°2 (1875), lequel ajoute à l’effectif du Terzetto un violoncelle et une contrebasse, gage de profondeur. Plus personnelle que le Quintette en la mineur Op.1 n°1 (1861), cette tentative réussie d’obtenir un prix décerné par l’Union des artistes témoigne d’une inspiration classique et profondément tchèque. Créé le 18 mars 1876, l’œuvre est publiée par Fritz Simrock, des années plus tard et par pur sens commercial, comme un opus récent, contre la volonté de l’auteur.

Actif depuis 1983, l’Ensemble Scharoun est constitué de membres des Berliner Philharmoniker, réunis sous le nom de l’architecte de leur célèbre salle de concerts – aujourd’hui Wolfram Brandl, Rachel Schmidt (violon), Micha Afkham (alto), Richard Duven (violoncelle), Peter Riegelbauer (contrebasse) et Wolgang Kühnl (harmonium) [lire nos chroniques des 15, 14 et 12 septembre 2008, ainsi que celles des 11 et 8 septembre 2006]. Dès Bagetelles, on apprécie la souplesse gracieuse des musiciens, une vibration sans lyrisme excessif, une tonicité sans fougue. De la même manière, un sens de la nuance embellit le Terzetto au deuxième mouvement à l’enthousiasme et au recueillement équilibrés. Enfin, magnifié par une prise de son exemplaire, le Quintette est servi avec un relief frémissant autant que souriant.

LB