Chroniques

par bertrand bolognesi

Arnold Schönberg
Fünf Stücke – Die glückliche Hand – Variations on a recitative – Kaiserwalzer (transcriptions)

1 CD Ars Musici (2003)
AM 1344-2
Arnold Schönberg | transcriptions

L'Ensemble UnitedBerlin, qui depuis sa fondation en 1989 fréquente les partitions du XXe siècle avec une assiduité qui ne se dément pas, offre chez Ars Musici un fort beau disque de transcriptions d'œuvres d’Arnold Schönberg. S'il se termine assez maladroitement par celle que ce compositeur fit de la Valse de l'Empereur de Johann Strauss à la fin de l'année 1925 – l'équilibre des timbres y est plutôt heureux, la couleur indéniablement charmante, mais le tempo trop lent et l'articulation assez lourde, inventant de ce fait un caractère plus munichois que viennois à cette interprétation –, il fait entendre trois adaptations dues à ses cadets.

Né en 1894 à Vienne, Félix Greissle fut l'élève de Schönberg dont il épousera la fille Gertrude. Il émigre aux USA où il enseignera lui-même la composition et l'analyse. Avant de disparaître à New York en 1982, il serait l'un des maîtres de Berthold Tuercke, né en 1957, qui étudia également auprès d'autres élèves de Schönberg, comme Rudolf Kolisch et Leonard Stein, mais aussi avec Max Bloch (un élève de Viktor Ullmann). Tourné vers Vienne et la Sezession, ce compositeur a écrit entre autre une musique de scène pour une adaptation du Joueur d'échecs de Zweig.

Dès les premières mesures la première des Cinq Pièces Op.16, on pourra constater que la transcription de Greissle – elle a recours à onze instruments : flûte, hautbois, basson, cor, clarinette, piano, violon, alto, violoncelle, contrebasse et harmonium (il serait intéressant de comparer avec la réduction pour deux pianos écrite par Webern en 1912) – rend assez justement compte de la version orchestrale d'origine. L'interprétation est judicieusement contrastée, installant un mystère qui peu à peu s'éclaire. Dans Vergangenes, le chef Peter Hirsch ménage une sonorité au moelleux équilibré entre un romantisme pudique et une modernité discrète. Le piano s'y avère d'une tendresse rare, tandis que le quatuor à cordes s'affirme dans un lyrisme élégant tout à fait viennois. Evidemment, la réduction de Farben nous fait perdre beaucoup. Elle apparaîtra donc comme une partition chambriste très soignée mais relativement statique, contrairement à Peripetie pleine de relief. Enfin, l'interprétation de Das obligate Rezitativ est rondement menée, distillant le crescendo jusqu'à l'explosion que l'on sait dans un tel contraste et une progression si bien conduite qu'elle n'a rien à envier à la version d'orchestre.

Si le travail de Greissle consistait à réduire le grand orchestre de l'Opus 16 à onze instruments, on ne peut pas dire pour autant que celui qu'il fit pour l'Opus 40 soit une extension en sens inverse. En effet, s'il utilise quinze instruments – deux flûtes, clarinette, basson, trois trompettes, timbales, piano, percussion, violon, alto, violoncelle et contrebasse – pour exprimer ce qu'un seul jouait, l'original est écrit pour orgue qui, en soi, est déjà une sorte d'ensemble. Cet exercice fut d'ailleurs pratiqué à deux reprises par Schönberg lui-même, puisqu'il orchestra deux chorals d'orgue (BWV 631 et 654) de Bach en 1922. Il compose ses Variations sur un récitatif d'orgue Op.40 à l'automne 1941 à Hollywood (il avait quitté Berlin dès l'avènement d’Hitler en 1933), faisant se succéder dix variations avant de développer une courte fugue dans un style assez ancien. Schönberg dira d'ailleurs que cet opus est un jalon entre la Kammersinfonie et les partitions plus radicalement dissonantes. Après les Variations pour orchestre Op.31 de 1928, il s'adonnait à un genre typiquement beethovénien qu'il poursuivrait dans les Variations pour orchestre d'harmonie Op.43 deux ans après celles pour orgue. Sur ce disque, on est d'emblée frappé par l'introduction au piano qui pourrait être un récitatif de Liszt, puis par la dimension que sait prendre cette page, assez terne dans la version originale. Il semble soudain que l'écriture en paraisse évidente, dans une clarté très excitante.

Berthold Tuercke a porté son attention sur une œuvre plus ancienne : Die glückliche Hand Op.18 – en français La main heureuse –, dont la composition occupa Schönberg de 1908 à 1913. L'avantage de la réduction qu'il en fit est d'en révéler plus clairement la construction et la structure à l'auditeur. D'autre part, il tire un effet assez heureux de l'utilisation de l'accordéon (qui n'est pas sans rappeler le bal deWozzeck). L'interprétation de Peter Hirsch à la tête de l'Ensemble UnitedBerlin et des United Voices bénéficie d'une belle dynamique, sans excès. Le baryton Jörg Gottschick propose une phraséologie intéressante.

BB