Chroniques

par michel slama

Camille Saint-Saëns
ballets d'opéras

1 SACD Melba Recordings (2011)
MR 301130
Guillaume Tourniaire joue les ballets de quatre opéras de Saint-Saëns

Camille Saint-Saëns reste mal aimé des maisons de disques et des organisateurs de concert. Ainsi retrouve-t-on toujours la même dizaine d’œuvres, dont Le carnaval des animaux, la Symphonie Op.78 n°3 (avec orgue), les concerti, deux des œuvres pour violon et orchestre, ainsi que Samson et Dalila. Qu’en est-il de ses autres symphonies, de ses poèmes symphoniques, de ses douze opéras, de sa musique religieuse et de son catalogue de chambre, particulièrement abondant ? On hésite même à programmer Samson, seul de ses ouvrages lyriques à survivre au compositeur : en ces temps de crise, une nouvelle production prometteuse (avec Roberto Alagna et Marie-Nicole Lemieux dans les rôles principaux) dut être remplacée par Il Trovatore (Verdi).

Ce CD de musiques de ballets tirées d’opéras de Saint-Saëns est donc le bienvenu dans ce désert. Encore faut-il attendre d’Australie qu’un label défende notre patrimoine. Melba Recordings a enregistré avec l’Orchestra Victoria (Orchestre de l’État de Victoria) ce programme riche et généreux (73’04’’). Il se veut le champion des redécouvertes – world premiere recording, annonce fièrement la pochette –, dans un son et une qualité réputés irréprochables et un packaging luxueux. Le tout est dirigé par un chef français, Provençal habitué de cette formation et de Melba Records : Guillaume Tourniaire est peu connu du grand public (si ce n’est par la guerre de succession de Michel Corboz, son ancien professeur, à la tête de l’Ensemble Vocale de Lausanne) [lire notre chronique du 26 février 2010 et du 20 juin 2006].

À part Henry VIII, les opéras ici présentés furent retirés de l’affiche presqu’immédiatement après la première. Ainsi le peu de succès de ces œuvres contribua-t-il à l’oubli de leur musique de ballet. Pourtant, à les écouter, force est de constater que Saint-Saëns n’avait pas à rougir de ces pages, comparées à celle de ses contemporains. C’est, de bout en bout, une musique de qualité, élégante et naturellement accessible, avec des emprunts irrésistibles à notre folklore. Son écriture rythmée et variée la destine à servir idéalement une chorégraphie classique. C’est un défilé de menuets, pavanes, sarabandes, rigaudons et farandoles, tels qu’on les imaginait en cette fin de siècle pour évoquer les factures qui avaient précédé le romantisme. À l’époque où Saint-Saëns les composait, Ravel publiait Menuet antique et Pavane pour une infante défunte, Fauré sa Pavane, Debussy le Menuet et le Passepied de la Suite Bergamasque.

Les musiques de Camille Saint-Saëns sont, elles, moins à l’avant-garde ; c’est toute la problématique d’un musicien qui continua d’écrire comme en 1850, en refusant avec opiniâtreté les révolutions de son temps. Ascanio (1890) se situe à la cour de François I, autour de Benvenuto Cellini. La partie dansée se réfère au néo-classicisme, avec ses différents numéros qui convoquent les dieux de l’Olympe. Le ballet alterne farandoles (Bacchus), pavanes et branles à la manière de Claude Gervaise (Diane, Phoebus), enfin menuets (Amour). En 1879, Étienne Marcel fut conçu pour célébrer la reconstruction de l’Hôtel de Ville de Paris, détruit par la Commune en 1871. C’est un grand opéra à la française qui conte les déboires qu’avec le Dauphin connut le premier maire de la capitale. Le ballet propose un divertissement de danses sur des thèmes médiévaux. Entrée des écoliers et des ribauds, vif et entraînant, ne nous est pas inconnu.

Plus dramatique et moins chorégraphique, la musique des Barbares (1900) n’est plus inédite depuis cet hiver où l’œuvre fut donnée à Saint-Étienne [lire notre chronique du 16 février 2014]. Sur un livret de Victorien Sardou, le père de Tosca, l’opéra a pour cadre les invasions du monde gallo-romain, en résonance avec les conflits territoriaux franco-allemands qui exacerbaient le tournant du siècle. En guise d’Ouverture, le long prologue des Barbares bénéficie d’une orchestration riche, avec de belles envolées solistiques de violon et de hautbois. Une farandole vertigineuse clôt ce disque.

À la tête de l’Orchestra Victoria, Guillaume Tourniaire affirme le raffinement et la grâce nécessaires à cette musique qu’on se doit de redécouvrir. Avec les mêmes forces, il a également enregistré un inédit de Saint-Saëns, Hélène, créé en 1904 par Nellie Melba et qui enthousiasmait la critique [lire notre critique du CD]. Un disque vaillamment interprété par un chef et un orchestre qui réhabilitent des pages de qualité, injustement incomprises et oubliées.

MS