Chroniques

par bertrand bolognesi

Frank Martin – Olivier Messiaen
œuvres pour chœur

1 CD Harmonia Mundi (2004)
HMC 901834
Martin – Messiaen | œuvres pour chœur

Le compositeur suisse Frank Martin demeure encore relativement peu joué chez nous – de lui, on connaît avant tout les Six Monologues de Jedermann pour baryton et orchestre (1949), le Concerto pour violon (1951) et Le Vin herbé, oratorio de 1942, ce dernier grâce à la présentation qu'en fit l'Opéra de Nantes il y a quelques années. Né à Genève en 1890, il poursuivit ses études à Zürich, Paris et Rome, puis enseigna lui-même au Conservatoire de sa ville natale jusqu'en 1946, année où il part vivre aux Pays-Bas, ce qui ne l'empêcha pas d'être professeur à la Musikhochschule de Köln entre 1950 et 1957. Il nous a quittés il y a tout juste trente ans.

D'inspiration largement grégorienne, sa Messe pour double chœur a cappella fut écrite dans les années vingt pour n'être finalement donnée qu'en novembre 1963, à Hambourg. D'une grande sérénité, elle ménage de savants climats un rien impressionnistes qui pourront par endroits rappeler quelques chansons de Maurice Ravel (fin du Credo, par exemple), avec une joie proche de celle de Bach (dans le Gloria, notamment). C'est dans le complexe et richeSanctus, plus personnel, que se révèle le beau travail du RIAS-Kammerchor. La formation berlinoise donne une interprétation sensiblement recueillie de l'Agnus Dei final.

Dans La Tempête, Shakespeare imagine l'esprit de l'air, Ariel, comme apparaissant à Prospero tour à tour sous la forme d'une ondine ou celle d'un adolescent. À la fin de 1949, Frank Martin écrivit cinq chants pour chœur mixte a cappella, les Songs of Ariel, d'abord en anglais, qu'il reprendrait dans son opéra Der Sturm, en allemand. D'une énigmatique légèreté, ces pages d'une troublante délicatesse nécessitent une lecture d'un raffinement absolu que Daniel Reuss – depuis un an et demi chef en titre du RIAS-Kammerchor – a su avantageusement mener, avec un subtil art de l'équilibre et de nuance. Full fathom five thy father lies décline une gamme formidable de pianissimi à la fois très proches et différenciés qui sont une véritable leçon de chant choral. You are three men of sin bénéficie d'un relief judicieux, tout au service d'une forme nettement plus articulée, désignant majestueusement les coupables.

Olivier Messiaen situait ses Cinq Rechants pour douze voix mixtes (1948) dans le vaste Cycle de Tristan qui regroupe plusieurs de ses œuvres. Particulièrement attaché à ces fraîches pièces hymniques, il sut développer pour elles une écriture faisant appel à l'onomatopée comme à un texte souvent fragmentaire, illustré par une vocalité tour à tour énergiquement rythmique ou tendrement mélismatique. Dans cet enregistrement, chanter l'amour semble être acte de gravité, de sorte que la couleur générale de cette version paraîtra quasiment religieuse, d'autant que son mystère naturel se trouve étrangement approfondi par une diction relativement molle. Le début de Ma robe d'amour mon amour (plage 13) installe un effet de basse d'orgue extraordinaire, tandis que le Mayoma kalimolimo du cinquième Rechant rebondit d'une dynamique scansion avant des énonciations plus méditatives.

Enfin, c'est sur le motet O sacrum convivium, composé en 1937, que ce bel enregistrement s'achève, dans une lecture d'un grand calme, toutefois lyrique, de ce lyrisme assez typique des œuvres du Messiaen des années trente (L'Ascension) et des toutes dernières partitions (Éclairs sur l'Au-delà…) [lire notre critique du CD].

BB