Chroniques

par michel slama

Gabriel Fauré – Camille Saint-Saëns
pièces pour violoncelle et piano

1 CD Champs Hill Records (2017)
CHRCD 113
Fauré et Saint-Saëns par Brian O’Kane (violoncelle) et Michael McHale (piano)

Quoi de plus naturel qu’une anthologie regroupant des œuvres de Gabriel Fauré et de Camille Saint-Saëns ? Même si le lecteur de cette chronique peut être surpris par une telle association, c’est oublier la longue amitié de toute une vie qui lia les deux hommes aux tempéraments pourtant bien opposés. C’est à l’école Niedermeyer qu’ils s’étaient rencontrés. Fauré l’Ariégeois y entra comme pensionnaire à l’âge de neuf ans et eut comme professeur le Parisien Saint Saëns, de dix ans son aîné. Très vite, Gabriel devint l’élève préféré du maître de piano. Saint-Saëns, qu’on a l’habitude de qualifier de musicien académique pour l’immuabilité du style de ces compositions, tout au long de sa longue existence de créateur, lui fit pourtant découvrir la musique de son temps, représentée par Wagner, Schumann et surtout Liszt qui l’avait aidé à créer son opéra le plus célèbre, Samson et Dalila. C’est aussi lui qui introduira le plus jeune dans les salons parisiens et lui obtiendra le poste d’organiste à l’église de la Madeleine de Paris [de Fauré, lire nos critiques de ses biographie et correspondance].

Cette sélection de pages pour violoncelle et piano s’organise autour des chefs-d’œuvre que sont les deux sonates de Fauré, compositeur auquel belle part est donnée. Elles sont magnifiquement interprétées par un duo de musiciens irlandais, peu connus sur le Continent. Brian O’Kane, le violoncelliste, est natif de Cork, tandis que Michael McHale, le pianiste, vient de Belfast. Ils adorent la musique de chambre française, comme ils le déclarent dans le livret : « Gabriel Fauré est un compositeur qui semble diviser l'opinion. Pour moi, son écriture est fascinante et intemporelle et je l'adore sans vergogne. Ses deux sonates pour violoncelle en particulier montrent la voix unique et intrigante de Fauré, et leurs mélodies divines et infinies célèbrent les meilleurs registres du violoncelle ».

Ils réussissent à doser intelligemment et avec goût ce Fauré tardif marqué par les horreurs de la Grande Guerre. La Sonate en ré mineur Op.109 n°1 fut créée le 10 novembre 1917 par Gérard Hekking à l’archet et Alfred Cortot au clavier. Par ses sonorités originales et moins classiques que celles des opus fauréens les plus célèbres, elle annonce Manuel de Falla et Igor Stravinsky. Les mêmes interprètes donnèrent le jour à la Sonate en sol mineur Op.117 n°2, le 13 mai 1922. Si l’ambiance y est moins sombre et plus habituelle, Fauré est alors au crépuscule de sa vie, sourd mais voulant toujours composer. Les accents passionnés et les rythmes enjoués, toujours dans le goût français, forment une partition testamentaire qui résume la carrière d’un musicien discret et incompris de son vivant. Écoutez ce deuxième mouvement, un Andante en forme de marche funèbre qui bouleverse par sa douleur et sa pulsation envoûtante. Le troisième, Allegro vivo, retrouve les couleurs et les rythmes endiablés du vif premier. Deux mélodies parmi les plus connues, Au bord de l’eau Op.8 n°1 et Après un rêve Op.7 n°1, complètent idéalement cette partie dédiée à Fauré, par leur tendresse et la souplesse de jeu, jamais grandiloquent.

La Sonate en ut mineur Op.32 n°1 de Saint-Saëns est classique dans sa forme tout en présentant des Leitmotive entêtants qui perdurent dans l’oreille. C’est la première sonate que l’auteur conçoit pour cordes et piano, écrite la même année que son Concerto en la mineur pour violoncelle Op.33 n°1. Elle fut créée le 26 mars 1873 à Paris, par Johann Reuchsel au violoncelle et le compositeur au piano. Nos Irlandais savent à merveille en restituer les sortilèges, tout comme pour les deux exquises, Romance en fa majeur Op.36 (1874) et Romance en ré majeur Op.51 (1877), et surtout Le cygne, extrait transcrit pour piano et violoncelle du Carnaval des animaux (1886), ici jamais emphatique ni larmoyant. On regrettera cependant de la part d’O’Kane une retenue qui, pour bien convenir à Fauré, paraît trop détachée et pas assez impétueuse pour Saint-Saëns (Romances). Le résultat reste cependant fort satisfaisant. Grands artistes qu’il faut suivre, nos deux compères sont aidés par un enregistrement de grande qualité, au minutage généreux, qui place le piano légèrement derrière le violoncelle, tout en préservant un son très pur et naturel.

MS