Chroniques

par laurent bergnach

Georg Friedrich Händel
Belshazzar | Balthasar

1 coffret 3 CD Éditions Arts Florissants (2013)
AF.001
Georg Friedrich Händel | Belshazzar

« Lorsque j’étais jeune, confie William Christie, les disques constituaient pour moi de véritable outils pédagogiques. » Durant les trente dernières années, à son tour, le directeur artistique des Arts Florissants a contribué à enrichir le patrimoine baroque en enregistrant, pour de nombreux labels (Harmonia Mundi, Virgin Classic, Warner Classics, etc.), les incontournables Campra, Charpentier, Händel, Haydn, Lully, Monteverdi, Purcell, Rameau comme les plus rares Bouzignac, Clérambault, Desmarets, Mondonville, Moulinié et Rossi – sans oublier le Landi d’Il Sant’Alessio [lire notre critique du DVD]. Après l’aventure de l’académie du Jardin des Voix (2002) [lire notre critique du DVD] et des Arts Flo Juniors (2007), le claveciniste de formation se lance aujourd’hui dans celle de l’édition discographique avec Belshazzar, un oratorio en trois actes du Cher Saxon – près de dix ans après Serse [lire notre critique du CD] –, dont le livret s’inspire de l’Ancien Testament.

Un demi-siècle avant notre ère, Belshazzar (Balthazar) succède à son père Nebuchadnezzar (Nabuchodonosor) qui a réduit le peuple d’Israël en esclavage. Sa mère, la reine Nitocris, proche du prophète Daniel, s’inquiète de la gradation des blasphèmes, d’autant que les Perses sont aux portes de Babylone. Elle rappelle l’épisode de « la fournaise sept fois rougie » – qu’on retrouve au cœur de la deuxième parabole d’église de Britten [lire notre critique du DVD] – et invite au repentir avant l’effondrement de l’empire. Son fils se moque et ordonne de fêter Sésach, dieu du vin, en usant des coupes sacrées pillées jadis à Jérusalem. La main de Dieu apparaît alors aux yeux de l’impie, prélude à sa chute.

C’est avec « les plus grandes joies » que Händel, alors plus distant de l’opéra italien, met en musique la pièce « noble » et « singulière » de Charles Jennens avec lequel il collabore pour la cinquième fois depuis Saul (1738) [lire notre critique du CD]. L’oratorio est créé au King’s Theatre de Londres le 27 mars 1745, donnant lieu à seulement seize représentations sur les vingt-quatre prévues. Dans l’espoir de reprises, il corrige plusieurs fois sa partition jusqu’en 1751, se prêtant « à des compromis terribles, mutilant, transposant, sacrifiant son inspiration », comme le regrette Christie. Au moment d’enregistrer, un choix subjectif s’est porté sur « le meilleur parmi les différentes versions » – lesquelles sont évoquées par les signataires variés de la notice.

La distribution réunie est celle qui défendait l’ouvrage sur scène, la veille de l’enregistrement au Conservatoire Maurice Ravel de Levallois-Perret [lire notre chronique du 18 décembre 2012]. Allan Clayton incarne le rôle-titre avec un chant sain, stable et expressif, mordant lors de son appel à l’ivresse. Rosemary Joshua (Nitocris) intervient avec une aisance un peu tremblée. Agile et impactée, le mezzo Caitlin Hulcup apporte une vraie présence au personnage de Cyrus, de même que Iestyn Davies à celui de Daniel, sans jamais forcer sa voix claire, caressante et nuancée. Jonathan Lemalu (Gobrias) s’avère plus poussif, mais ce baryton-basse demeure sonore et d’une belle profondeur. Quant à lui, William Christie unit une fois de plus l’élégance à la fougue.

Cette première livraison du label est un bel objet dans le fond mais encore dans la forme (malgré quelques coquilles dans la reproduction du livret), avec une présentation originale des trois disques dans une pochette à soufflets et la présence d’une brève fiction commandée à Jean Echenoz, intitulée À Babylone et pleine de malice (« Grâce aux sommes obtenues par la vente des belles filles, on dotait largement les moches […] »). Une seconde parution s’annonce déjà pour le printemps prochain : Le jardin de monsieur Rameau, qui célèbre sans doute la disparition du compositeur voilà deux cent cinquante ans.

LB