Chroniques

par hervé könig

Gordan Nikolić et le Nederlands Kamer Orkest
Bartók – Britten – Hartmann

1 SACD PentaTone classics (2005)
PTC 5186 056
Gordan Nikolić et le Nederlands Kamer Orkest | Bartók – Britten – Hartmann

Sur un même enregistrement, certaines associations de compositeurs relèvent de l'évidence. Dans le cas présent, les trois œuvres réunies ont comme point commun leur naissance dans un monde d'avant la guerre, lorsque Tchécoslovaquie et Autriche n'étaient pas encore annexées par le pouvoir hitlérien. Entre espoir et révolte, trois pacifistes s'expriment.

En 1937, lors de la conférence de Munich, le Premier ministre britannique signe avec l'Allemagne un pacte de non-agression qui s'avèrera vite caduc. Soulagé, Benjamin Britten écrit à son éditeur qu'il allait cueillir du cassis pour fêter la nouvelle – « Peut-être viendra-t-il une autre année au cours de laquelle je pourrai en déguster la confiture ». Il ne se doute pas que le compte à rebours de son exil américain est commencé. Pour l'heure, il doit répondre à une commande du Festival de Salzbourg, et propose à Boyd Neel, qui devait la jouer, un premier jet de l'œuvre écrit en une dizaine de jours. Il s'agit de variations dont le thème est un hommage à son professeur Franck Bridge et à son Idylle n°2 pour quatuor à cordes, composée trente ans plus tôt. Ces dix variations – nous en connaissons des ébauches pour piano, datant de 1932 – présentent, de manière satirique, des formes musicales caractéristiques de différents pays d'Europe : marche allemande, aria d'opéra italien, bourrée française, etc. Le thème présenté par l'Introduction revient lors du Finale, complètement transformé.

Ce disque enregistré à Amsterdam en 2004 offre dès les premiers pas du thème l'avantage d'une lecture d'une éclatante tonicité. À la tête du Nederlands Kamerorkest (NKO), le violoniste Gordan Nikolić signe une version sensible d'une grande cohérence, sachant rendre compte des diverses influences du jeune Britten. Ainsi fait-il judicieusement entendre Verklärte Nacht (Schönberg) dans l'Adagio (deuxième mouvement), de même qu'une simultanéité de style et d'intention donne à la Marche, à la Romance, comme à la Bourrée ou à la Fugue finale une troublante parenté avec certaines pages de Chostakovitch. Au miel de ce quatrième mouvement, le chef enchaîne la théâtralité mordante de l'Aria, tandis que la Valse déploie des trésors de vivacité et d'onctuosité. À l'inquiet huitième mouvement succède l'un des épisodes les plus développés de ces Variations on a theme of Franck Bridge Op.10, une déchirante Marche funèbre à laquelle les interprètes rendent tous ses accents tragiques. Enfin, après la sorte de poisseuse inertie du Chant, la Fugue trouve une stimulante âpreté expressive.

Au cœur de la tourmente, c'est un exil intérieur que vivraKarl Amadeus Hartmann. De 1933 à 1945, le compositeur allemand se retire de la vie publique, et refuse toute interprétation de sa musique sur son sol natal. Pour cet indépendant, dont l'œuvre se construit dès lors à l'étranger, l'artiste, s'il veut être en phase avec son époque, se doit d'avoir une conscience politique. Preuve en est son Concerto funèbre écrit en réaction à l'invasion de la Tchécoslovaquie, durant l'automne 1939. L'œuvre comporte quatre parties se succédant sans transition. Hartmann explique : « J'ai voulu, avec les deux chorals du début et de la fin, redonner un peu de baume au cœur avant la disparition actuelle de toutes perspectives sur le plan intellectuel ». Ils encadrent un Adagio pétri de lamentations et un Allegro aux croches martelées, plein de forces rythmiques et dynamiques. Après le discret tutti introductif, le violon de Gordan Nikolić énonce un lyrique Adagio contrarié d'une infinie tristesse. On retrouve les qualités instrumentales précédemment entendues dans l'Allegro di molto, ici vertement contrasté. Liant Eisler à Berg, le Choral est finalement suspendu dans une lumière déconcertante.

Le Divertimento de Béla Bartók date lui aussi de 1939. Cette œuvre, écrite en deux semaines durant l'été, est caractéristique de la volonté de l'auteur d'utiliser, de récupérer des éléments folkloriques qui forgeront un style unique. Les première et troisième parties, principalement, avouent largement ces emprunts à des danses hongroises et roumaines. De fait, à part le sombre Adagio central, légèreté et vitalité dominent. Après Musique pour cordes, percussion et célesta, c'est là une nouvelle commande du chef d'orchestre et mécène bâlois Paul Sacher, et la dernière œuvre orchestrale que Bartók compose en Europe, avant son départ pour les États-Unis. La lecture de Gordan Nikolić ne force pas le trait et entretient une fine élégance. On rencontre rarement une telle unité d'approche, une cohérence semblable dans un programme diversifié, et, bien sûr, une égale qualité d'exécution : autant d'atouts qui nous convainquent d'attribuer haut la main une Anaclase ! à cet excellent disque.

HK