Chroniques

par michel tibbaut

Joseph Jongen – Flor Peeters
Messe Op.130 – motets – Missa Festiva Op.62

1 CD Hyperion (2007)
CDA 67603
Jongen – Peeters | messes – etc.

Si Joseph Jongen (1873-1953) regretta toute sa vie de ne pas avoir écrit d'opéra, le grand compositeur et organiste liégeois nous laissa néanmoins quantité d'œuvres vocales dont sa Cantate du Prix de Rome Comala (1897) [lire notre critique du CD], des mélodies, des motets, plusieurs œuvres chorales profanes et cette Messe en l'honneur du Saint-Sacrement écrite pour le VIIe Centenaire de l'Institution de la Fête-Dieu à la Basilique Saint-Martin de Liège.

Composée à Sart-lez-Spa entre le 9 juillet et le 16 août 1945, orchestrée en février 1946 pour orgue et ensemble de cuivres (deux trompettes, quatre cors, trois trombones et tuba), la Messe ne comportait pas de Credo à l'origine ; c'est sous cette forme qu'elle fut créée le 23 juin 1946 à la Cathédrale Saint-Paul de Liège, sous la baguette du compositeur, ensuite exécutée à la Cathédrale Saint-Rombaut de Malines, puis le 23 janvier 1948 au Palais des Beaux-Arts, à Bruxelles, avec Flor Peeters à l'orgue et la Maîtrise de Saint-Rombaut sous la direction de Monseigneur Jules Van Nuffel. Un ami de Jongen, Georges Alexis, l'encouragea à écrire un Credo pour compléter la Messe, ce qu'il fit entre le 9 et le 29 mars 1948. Sous sa forme complète, l'œuvre ne fut pas exécutée, et le Credo fut estimé perdu ou détruit par le compositeur.

Dès 1989, en vue de la publication de la Messe par Oxford University Press, Tom Cunningham, à l'époque directeur musical de la Brussels Choral Society, put reconstituer le Credo dispersé à la bibliothèque du CeBeDeM, avec l'aide de l'éminent jongenien John Scott Whiteley qui, incidemment, a enregistré une splendide intégrale de l'œuvre d'orgue solo du Liégeois (Priory). Cunningham réalisa le premier enregistrement mondial de la Messe le 27 juin 1991 (Pavane), cela bien évidemment avec le Credo réintégré. C'est cette même édition que nous retrouvons exécutée ici, captée du 10 au 12 juillet 2006 en la Chapelle du Collège St-John à Cambridge, dans une somptueuse acoustique mettant admirablement en valeur les voix pures du Chœur du Collège St-John ainsi que l'orgue tenu par Paul Provost, et le London City Brass, superbe ensemble de cuivres, qui le guident et le soutiennent avec toute l'ampleur désirée, le tout sous la direction attentive, chaleureuse et inspirée de David Hill.

Devant cette belle réussite, on peut toutefois se poser la question de savoir, en ces temps d'authenticité à tout prix concernant la musique ancienne, pourquoi ne pas appliquer la même démarche à la musique du XXe siècle – puisqu'en l'occurrence, le Chœur de Cambridge ne comporte qu'une trentaine de voix, toutes masculine (avec trebles et contre-ténors), alors qu'à la création de la Messe, Jongen eut à sa disposition un chœur mixte de soixante sopranos et altos, ainsi que soixante ténors et basses ! L'on vit aujourd'hui une époque où les subsides sont plus aisément attribués aux manifestations sportives qu'à la culture, mais c'est une autre histoire... Sur ce point, l'enregistrement de Tom Cunningham réalisé chez Pavane, bien que n'ayant pas l'acoustique aussi avantageuse que celui d'Hyperion, est plus approprié à l'œuvre de Jongen et plus proche de son esprit.

L'idée était excellente d'associer sur un même CD la Messe en l'honneur du Saint-Sacrement de Jongen et la Missa Festiva (1947) de Flor Peeters (1903-1986), puisque ce dernier avait participé, en tant qu'organiste, à l'exécution de l'œuvre de son confrère le 23 janvier 1948. Toutefois, si la Messe de Peeters a pu être influencée par celle de Jongen, des différences de caractère apparaissent nettement entre elles : la première, destinée à une manifestation grandiose, est essentiellement jubilatoire, d'une élégance et d'un raffinement harmonique et lyrique infaillibles, bien de son temps, avec une expression pudique de tendresse constamment sous-jacente ; celle de Peeters, bien qu'intitulée Missa Festiva, paraît plus sévère, plus archaïque, utilisant comme lien unificateur un accompagnement en accords parallèles de type organum. Elle est manifestement destinée au culte, à la liturgie, dont Peeters fut toute sa vie le grand serviteur, alors que celle de Jongen, même si elle laisse une profonde impression de majestueuse grandeur et de piété émouvante, semble plus appropriée au concert. Ici encore, les interprétations du Chœur du Collège St-John sous la direction de David Hill sont admirables de pureté et de sensibilité.

L'idée était également excellente de la part du label anglais Hyperion d'intercaler entre les deux Messes, en une sorte d'intermède, trois beaux Motets de jeunesse de Jongen (Deus Abraham, Pie Jesu et Quid sum miser), qui complètent de manière adéquate et séduisante le portrait du compositeur liégeois le plus important, aux côtés de Jean Rogister, de la première moitié du XXe siècle.

MT