Chroniques

par samuel moreau

Le Ballet Kirov rend hommage à Nijinski
quatre chorégraphies signées Mikhail Fokine

1 DVD Arthaus Musik (2004)
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quatre chorégraphies signées Mikhail Fokine

Si c'est le nom du Clown de Dieu qui saute aux yeux en découvrant la jaquette, le héros véritable de cette soirée russe s'appelle en fait Mikhail Mikhailovitch Fokine. Durant les premières années de triomphe des Ballets Russes à Paris, soit à partir de 1909, le chorégraphe allait profondément réformer la danse classique – engagement complet du corps, pieds nus, mouvement plus libres des bras, etc. – et y associer les musiques désormais célèbres de ses compatriotes (Le Coq d'Or, Sadko, Le Rossignol) et bien sûr les quatre œuvres, tout aussi mythiques, du présent programme.

Shéhérazade est créé au Théâtre de l'Opéra, le 4 juin 1910. Inspirée en 1888 à Nikolaï Rimski-Korsakov par le premier conte des Mille et une nuits, cette musique de ballet allait permettre à la troupe de Diaghilev et à Nijinski d'établir leur réputation dans la capitale. L'histoire est celle des femmes du Sultan Shariar (Vladimir Ponomarev) qui soudoient le Grand Eunuque du harem (Igor Petrov) pour qu'il laisse entrer les esclaves. Surgit alors l'Esclave d'or (Farukh Ruzimatov), le favori de la belle Zobéide (Svetlana Zakharova) pour un duo plein de sensualité et d'érotisme qui finira dans le sang.

Passons vite sur Le Spectre de la rose, créé au Théâtre du Châtelet le 6 juin 1911, d'après une musique pour piano de Carl Maria von Weber orchestrée par Hector Berlioz ; ce célèbre pas de deux enchantera sans doute les passionnés, mais la mièvrerie de l'argument découragera les autres.

En 1869, Alexandre Borodine commence l'écriture du Prince Igor, opéra qui restera inachevé et ne sera créé que trois ans après sa mort, le 4 novembre 1890, au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Le premier acte sera donné en concert par Fédor Chaliapine lors de la saison russe de l'Opéra de Paris en 1907, mais c'est la chorégraphie des célèbres Danses polovtsiennes qui va enflammer le public parisien pour les sauvageries orientales. Après la prestation langoureuse des femmes du camp où est prisonnier Igor, c'est au tour des guerriers de bondir avec frénésie, de se frapper bruyamment les jambes, de se plaquer au sol… Techniquement, cette partie du programme présente quelques soucis de rythme chez les danseurs et des approximations du chœur masculin. Diaghilev continua de faire jouer longtemps ce ballet d'une douzaine de minutes, valorisant un corps de ballet souvent décoratif ; dix ans plus tard seulement, on en fêtait la cinq centième représentation.

Pièce maîtresse de cet hommage, L'Oiseau de feu en est aussi la brillante conclusion. Créé au Théâtre de l'Opéra le 25 juin 1910, le même soir que Les Orientales, ce ballet marquera la véritable collaboration d'Igor Stravinsky avec les Ballets. Certes, il a déjà orchestré Chopin pour Les Sylphides un an auparavant, mais c'est Petrouchka (1911) et Le Sacre du Printemps (1913) qui finiront par entrer dans la légende. Inspiré de divers contes russes, l'argument présente Ivan (Andrei G. Yakovlev), un jeune homme qui capture puis libère l'oiseau en question (Diana Vishneva) en échange d'une de ses plumes magiques. Celle-ci lui permettra de vaincre plus tard l'effrayant sorcier Kotscheï – qu'on jurerait ici un ancêtre de Freddy Krueger !

Que l’on soit peu ou prou sensible à la danse, on appréciera ici les reconstitutions d'Isabelle Fokine, petite-fille du chorégraphe, le chatoiement des costumes et des décors de Léon Bakst qui ont enchanté la Saison Russe du Châtelet des 16 au 19 octobre 2002, et la direction efficace de Mikhaïl Agrest.

SM