Chroniques

par laurent bergnach

Leoš Janáček
Příhody Lišky Bystroušky | La petite renarde rusée

1 DVD Medici Arts (2009)
3078388
ouvrage mis en scène par André Engel à Paris

Au départ de l'opéra de Leoš Janáček (1854-1928), il y a l'œuvre commune du poète Rudolf Těsnohlídek et du dessinateur Stanislav Lolek : Aventures de la renarde Fine-Oreille – en fait « aux Pieds légers », comme elle se nommait avant l'erreur typographique qui la rebaptise pour l’éternité –, qui présente des animaux se comportant en discordance avec la société humaine. Ayant rendu fou d'amour le garde-chasse qui la recueille un temps, obéissant à son instinct de dévoreuse de poules tout en représentant l' « idéal absolu de la femme moderne » pour le père de ses futurs enfants, notre héroïne ne peut être qu'une révolutionnaire qui propose une autre vision du monde.

Rendu populaire par sa publication sous forme de feuilleton, le roman illustré inspire rapidement le compositeur qui ne se laisse pas décourager par un entourage réticent – son éditeur viennois et son traducteur allemand, en particulier –, sentant que le sujet est pour lui. « Et puis les animaux, écrit-il, depuis des années, je les écoute, mémorisant leur discours ; je suis à l'aise avec eux ». La création de Brno, le 6 novembre 1924, puis la production praguoise l'année suivante laissent évidemment le public perplexe, mais l'ouvrage finit par s'imposer à partir des années cinquante – notamment avec le travail de Walter Felsenstein, fondateur de la Komische Oper de Berlin.

Plutôt que dans une forêt, c'est dans un champ de tournesols que nous entraine André Engel pour illustrer le cycle éternel de la nature, avec une voie ferrée qui symbolise le point de jonction entre deux univers. Malheureusement, de beaux décors ne dispensent pas d'une direction d'acteurs en finesse. L'on s'ennuie ferme quand il faudrait s'émerveiller. À sa décharge, la captation réalisée par Don Kent durant l'automne dernier est une catastrophe. Le réalisateur alterne les plans larges inutiles avec des gros plans qui gâchent la magie de déguisements réussis – l'identification des animaux est immédiate, bien que parfois décalée. De plus, au lieu de s'attarder sur un rideau de scène qui fait peut-être référence aux dessins originaux de Lolek, ses interludes nous gavent d'images de campagne insipides et de flash-back sépia.

C'est donc sa distribution musicale qui sauve cette production parisienne. Expressive et colorée, la Renarde d'Elena Tsallagova a le charisme qu'il faut pour porter l'ouvrage, et ses échanges avec Hannah Esther Minutillo (le Renard) sont convaincants. Jukka Rasilainen incarne un Garde-chasse très timbré. Les autres chanteurs sont des figures familières ou prometteuses de la scène : Michèle Lagrange (sa Femme), David Kuebler (l'Instituteur), Roland Bracht (le Prêtre), Paul Gay (Harašta) ou encore Letitia Singleton (le Chien). L'Orchestre de l'Opéra national de Paris, placé sous la direction gracieuse de Dennis Russell Davies, livre des traits solistes d'une grande clarté.

LB