Chroniques

par laurent bergnach

Louis Vierne – Charles-Marie Widor
messes pour chœurs et orgues

1 CD Atma Classique (2015)
ACD2 2718

Voici réunies des œuvres sacrées de deux compositeurs français morts en 1937, dont plus d’un quart de siècle séparait les naissances. Charles-Marie Widor est l’aîné, venu au monde en 1844. Fils d’un organiste à Saint-François de Sales, le Lyonnais reprend ce poste durant l’adolescence, après des études en Belgique avec Fétis (théorie, composition) et Lemmens (orgue). Vers vingt ans, Widor assiste Saint-Saëns et Lefébure-Wély dans différentes églises parisiennes, avant de reprendre, passé quarante-cinq ans, la place de Franck au conservatoire (orgue), puis celle de Dubois (composition, contrepoint, fugue). Louis Vierne, Charles Tournemire et Marcel Dupré profitent de son enseignement réformateur de leur instrument préféré – le troisième finissant par épauler et remplacer son maître à Saint-Sulpice.

Auteur d’une dizaine de symphonies pour orgue seul [lire notre critique du CD], Widor recourt également à ce dernier pour quelques pièces sacrées. Parmi celles-ci, on compte la courte Messe pour deux chœurs Op.36 (1878) – moins de vingt minutes – qui, dans la lancée presque tragique du Kyrie initial, cultive une ampleur et une expressivité appuyées, à part quelques îlots éthérés – notamment l’Agnus Dei conclusif.

Remarqué par César Franck lors d’un examen de piano, Louis Vierne (né en 1870) se forme au conservatoire puis en suppléant Widor et Guilmant. Victorieux à un concours, il est ensuite attaché aux grandes orgues de Notre-Dame, de 1900 à 1937, tout en gardant du temps pour enseigner à la Schola Cantorum de son ami d’Indy ou pour des tournées internationales. Admiratif de ses improvisations soignées et de ses excellentes polyphonies à quatre ou cinq parties, son élève Maurice Duruflé confie : « autant on se sentait sur un volcan prêt à entrer en éruption chez Tournemire, autant on se sentait en sérénité auprès de Vierne, esprit beaucoup plus classique, plus rationnel » (in Musique, art et religion dans l’entre-deux-guerres, Symétrie, 2009) [lire notre critique de l’ouvrage].

Écoutant Widor qui lui conseille d’éviter le grand orchestre dans la musique religieuse, c’est pour les deux orgues de Saint-Sulpice et un chœur de quatre voix mixtes que le trentenaire compose la Messe solennelle en ut # mineur Op.16 (1901), dédiée à Théodore Dubois. Contrastant avec la gravité de l’introduction et la ferveur enfantine, les voix d’hommes offrent une tendresse qui contamine l’ensemble de l’œuvre, livrant nombre de moments apaisés (Gloria), voire aériens (Sanctus) ou même a cappella (Benedictus).

Toujours interprété par Les petits chanteurs du Mont-Royal, Les Chantres musiciens (dirigés depuis plusieurs décennies par Gilbert Patenaude), les organistes Vincent Boucher et Jonathan Oldengarm, le reste du programme consiste en quatre motets de Widor et deux signés Vierne. En accord avec le climat respectif des messes entendues, les premiers s’avèrent plutôt extatiques et glorieux (Tantum ergo Op.18 n°1, Psaume 83 Op.23 n°1, Tu es Petrus Op.23 n°2, Surrexit a mortuis Op.23 n°3), tandis que les seconds cultivent retenue et délicatesse (Tantum ergo, Ave Maria).

LB