Chroniques

par stéphanie cariou

Marc-Antoine Charpentier – Henry Purcell
Actéon – Dido and Æneas | Didon et Énée

1 DVD Aller Retour Productions (2004)
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Charpentier – Purcell | Actéon – Dido and Æneas

Ce DVD propose deux joyaux de la musique baroque, deux œuvres miniatures à peu près contemporaines l'une de l'autre : Actéon (1684) de Marc-Antoine Charpentier et Dido and Æneas(1689) d'Henry Purcell. Si toutes deux ont des points communs (sujets tirés de la mythologie, chasses tournant au drame à cause du courroux de forces surnaturelles, raffinement de la partition, etc.), elles présentent certaines différences considérables. La principale est que Dido and Æneas figure depuis très longtemps au répertoire et fut l'un des opéras les plus enregistrés, alors qu'Actéon tomba dans l'oubli et dut attendre que les œuvres de Charpentier soit progressivement redécouvertes (enregistrements par William Christie) et représentées sur scène – comme récemment à Rennes [lire notre chronique du 12 octobre 2004].

Si Charpentier est considéré comme le plus grand compositeur français de musique religieuse baroque, Purcell, lui, est considéré comme le plus grand compositeur anglais avant Britten – qui proposa d'ailleurs une réorchestration de Dido and Æneas. L'une des principales raisons est qu'il fit une synthèse remarquable entre les styles élisabéthains, italiens et français, et que, ayant été organiste à la Chapelle Royale, il était aussi à l'aise dans la musique profane que religieuse. Dido and Æneas est considéré comme le seul véritable opéra de Henry Purcell ; King Arthur, Fairy Queen sont d'avantage des semi opéras, alternant musique et scènes parlées – caractéristiques du genre masque, typiquement anglais, créé sous le règne de Elisabeth 1ère – et divertissements musicaux allégoriques apparaissant dans des pièces de théâtre.

Il a été composé sur un livret de Nahum Tate, tiré du livre IV de l'Enéide de Virgile et a longtemps été entouré de mystères : orchestration incomplète, et même œuvre inachevée, selon certains musicologues, signification obscure (politique ?), etc. Hésitations également quand aux circonstances de la composition : pour la cour d'Angleterre ou pour un pensionnat de jeunes filles nobles ? On est quasiment sûr aujourd'hui que cette œuvre fut représentée la première fois au pensionnat de jeunes filles de Chelsea, dirigé par Josas Priest, maître de ballet à la cour, et ami du compositeur, mais elle le fut ensuite à la cour du Roi d'Angleterre. L'influence française est manifeste dans cette œuvre, sans doute en raison de l'admiration de Charles II pour le mode de vie à la cour de Louis XIV (suite à son exil lié à la dictature de Cromwell), mais aussi de la connaissance qu'avait Purcell des compositeurs français et de l'influence de celui qui fut son Maître, John Blow – particulièrement avec Venus and Adonis.

La mise en espace de Vincent Boussard est très sobre : un fond éclairé de bleu, et quelques chaises. Chanteurs et musiciens sont en noir ; seules les quatre chanteuses sont vêtues de couleurs vives (rouge, jaune, bleu, vert). Plusieurs passages retiennent l'attention : le Ballet des Nymphes, rendu très vivant par Gaëlle Mechaly sautant à cloche pied, ou encore la scène des sorcières, où les solistes s'amusent comme ont dû s'amuser les jeunes filles de Chelsea !

Une équipe de chanteurs aguerris dans le domaine baroque fait honneur à cette soirée. L'effectif choisi est restreint : un tout petit chœur, essentiellement masculin, parfaitement bien préparé. Certains choristes ont des petits rôles tandis que des solistes se mêlent parfois aux parties de chœur. Sophie Daneman est une Belinda éclatante et une Diane gracieuse, Gaëlle Méchaly chante ses rôles avec verve et dynamisme. La sorcière pouvant être interprétée aussi bien par un homme que par une femme, c'est le contreténor Michel Puissant qui joue ici, de manière à la fois comique et perverse (tradition élisabéthaine) à l'aide d'une gestuelle et de grimaces bien étudiées, de la couleur sournoise donnée à son timbre. Nicolas Rivenq, Enée indifférent, n'est pas très à l'aise – comme le fait remarquer Christie dans le documentaire qui suit, ce rôle est trop étriqué pour une voix comme la sienne. Et le meilleur : Paul Agnew, Actéon touchant, presque naïf, semble bien injustement puni, car s'étant trouvé plus par hasard que volontairement sur le chemin de Diane. La belle Stéphanie d'Oustrac, habillée et maquillée de rouge vif – couleur en accord avec ses deux rôles –, d'une voix à la fois sombre et souple, chante Junon outragée et Dido abandonnée avec une intensité et une aisance égales, paraissant à la fois irréelle et charnelle.

L'orchestre de William Christie, les Arts Florissants, placé sur la scène est une merveille : soigné, coloré, discret. Dans le deuxième acte de Dido and Æneas, pour figurer l'ambiance festive, la guitariste se joint au groupe et débute le continuo avec de beaux accords. En complément de programme, un petit documentaire permet au chef d'orchestre, accompagné de toute l'équipe, de présenter les deux œuvres avec précision et conviction.

SC