Chroniques

par jo ouaknin

Marc-Antoine Charpentier – Jean-Baptiste Lully
Te Deum H.146 – Te Deum LWV 55

1 CD Alpha (2013)
Alpha 952
Te Deum, de Charpentier et Lully

Au printemps 2013, la Chapelle royale du Château de Versailles affichait une soirée de Te Deum qu’on retrouve aujourd’hui au disque, en captation live, dans la Collection Versailles éditée par le label Alpha. Dirigée par Jan Tomasz Adamus et préparée par Andrzej Zawisza, l’excellente Capella Cracoviensis était alors associée à Vincent Dumestre à la tête de son Poème Harmonique, pour un concert faisant voguer l’oreille entre 1677 et 1692, dates des opus de Lully et de Charpentier à son programme.

Durant toute l’année 1686, Louis XIV souffrit en sa chair la plus dissimulée. Quand le « bistouri à la royale » eut raison de ses maux, de par son royaume l’on chanta de nombreux Te Deum, raconte la musicologue Catherine Cessac (auteure, entre autres, d’une somme sur Charpentier publiée en 1998 et 2004 chez Fayard) dans la passionnante notice du CD.

8 janvier 1687 : Jean-Baptiste Lully dirige en l’Église des Feuillants son Te Deum de 1677, composé pour une toute autre circonstance et depuis dix ans plusieurs fois rejoué. D’une battue malheureuse il se frappe un pied, provoquant ainsi la gangrène qui le tuerait deux mois et demi plus tard.

8 février 1687 : à l’Oratoire du Louvre est créé un Te Deum à double-chœur de Marc-Antoine Charpentier. Ce n’est pas celui qu’on entend ici, auquel on a préféré le plus célèbre des quatre de ce compositeur (H.146), conçu en 1792, vraisemblablement pour célébrer une des dernières victoires guerrières du Soleil.

L’aura cérémonieuse des timbales en lance le Prélude recueilli où se laissent admirer des trompettes habiles, par devers le choix courageux d’en utiliser une facture ancienne. D’un bout à l’autre le dessin des timbres cajole cette exécution. Les rebonds de chœur soulignent la fraîche clarté de l’œuvre (Te aeternum Patrem), non dépourvue de ferveur et de joie (Tu devicto mortis acules), sans qu’on puisse véritablement parler de « pompe » tant l’inflexion générale, certes festive, vérifie une légèreté de bon aloi, ce que confirme la belle dynamique de la séquence de conclusion, canon fugué plein de relief.

Tout de suite le Te Deum LWV 55 montre de Lully la fastueuse théâtralité. Flûtes « en fifres » et cordes soyeuses agrémentent une écriture fougueuse (Te Deum laudamus), voire extravagante. Nervosité toute personnelle (Tibi omnes angeli) et urgence expressive enchaînent toutes les parties, quand bien même le procédé relève du style lullien. Dramatique et surprenante, cette page convoque des effets qui ne sont peut-être pas tout à fait d’église (fin abrupte, impérative, de Pleni sunt caeli et terra), une expressivité avouée (chœur de Tu ad dexteram Dei sedes), quand ce n’est carrément la danse (Salvum fac populum tuum, Domine) ! Elle s’achève dans une louange enlevée, bondissante action de grâce en grand fracas de « tambours et trompettes ».

Saluons d’une Anaclase! plus que méritée cette réalisation exemplaire dont les voix solistes font florès. La ciselure délicate de Jeffrey Thompson (taille) rivalise avec le chant raffiné de Reinoud Van Meichelen (haute-contre), dans des ensembles tour à tour onctueux ou en apesanteur (Te ergo quaesumus famulis tuis subveni et Dignare Domine die isto de Lully, Te per orben terrarum de Charpentier). On retrouve la jeune basse Benoît Arnould, moelleusement autoritaire, toujours remarquablement respirée [lire notre chronique du 13 avril 2014]. La prise de son vous transporte avantageusement dans l’espace acoustique où Vincent Dumestre mène somptueusement le bal.

JO