Chroniques

par bertrand bolognesi

Mikhaïl Glinka
Руслан и Людмила | Rouslan et Lioudmila

1 coffret 3 SACD PentaTone (2004)
PTC 5186 034
Mikhaïl Glinka | Rouslan et Lioudmila

C'est juste après avoir accordé d'adapter à Mikhaïl Ivanovitch Glinka – celui que les Pétersbourgeois considéraient comme le père de l'opéra russe, depuis La vie pour le Tsar créé six ans plus tôt – son conte Rouslan et Lioudmila pour la scène lyrique, que Pouchkine mourut des blessures d'un duel. Le musicien dut combler l'absence du poète lui-même par une collaboration parfois malaisée avec rien moins que cinq librettistes différents pour parvenir à construire le texte de son second opéra.

Rouslan et Lioudmila verrait le jour au Kamenny de Saint-Pétersbourg, le 27 novembre 1842, sans partager le succès de l'œuvre précédente. Suivra une longue affaire de partition perdue : entre celle que conservait le Théâtre-Cirque de la capitale impériale, disparue lors de l'incendie qui le détruisit en 1859, la copie manuscrite encore accessible à la Bibliothèque Musicale, bien des circonstances historiques nécessitèrent de soigneuses recherches et études pour parvenir à établir, pour la production dont cet enregistrement se fait l'écho, une version la plus conforme possible à ce que ses maîtres d'œuvre pensent être celle de la création. Toujours est-il que nous sommes aujourd'hui en mesure d'entendre une nouvelle mouture de Rouslan et Lioudmila, saisie lors des représentations d'avril 2003 à Moscou, au Théâtre Bolchoï, qui associe son label à PentaTone.

À la tête de l'équipe moscovite, Alexandre Vedernikov présente une conduite précise, très soignée, ménageant des contrastes et des couleurs choisies dans les ouvertures, entractes et intermèdes. Pour ce qui est de la présence orchestrale durant l'action lyrique proprement dite, on regrettera un engagement trop précautionneux qui ne suffit pas à véhiculer le drame. En revanche, la délicatesse de certaines attaques et l'efficacité des soli sont exemplaires (superbe introduction de l'aria de Lioudmila dans la Première scène de l'Acte IV…). La sonorité générale est évidemment classique, ce qui n'a rien d'un non-sens : nous ne sommes qu'en 1842, ne l'oublions pas. Si la lecture de Valery Gergiev (chez Philips) est autrement excitante, elle pourrait bien faire de l'œuvre l'avant-scène romantique et orientaliste d'un Rimski-Korsakov encore à venir ; c'est intéressant, mais anachronique (même s'il est indéniable que Glinka annonce Moussorgski dans le dernier chœur du Quatrième acte). Rendant Rouslan et Lioudmila à son temps, Vedernikov évite les excès des uns et des autres, au risque d'en paraître quelque peu timoré. Il conviendra donc de l'écouter attentivement en affranchissant ses oreilles de l'opulence de ses prédécesseurs au disque. Plus cohérente que la somptueuse lecture de Gergiev, son interprétation n'accède pas à l'équilibre de celle de Simonov – avec le Bolchoï également, il y a vingt-cinq ans (Le Chant du Monde) – : voilà donc un entre-deux parfaitement honorable, la référence absolue restant Kondrachine (Voce della Luna), à la fois dramatique et retenu.

À un orchestre aux qualités incontestables, le Théâtre Bolchoï présente l'avantage d'un chœur vaillant et nuancé, préparé par Valery Borisov avec une louable efficacité ; on écoutera avec plaisir le chœur d'hommes incarnant la tête enchantée que vaincra Rouslan, par exemple.

Mais le plateau vocal demeure des plus inégaux. Si l'on appréciera le Bayan suave, vaillant et souple de Maxim Paster, le timbre fabuleusement corsé de Vadim Linkovski en Svietosar, ou encore l'équilibre et l'unité de la voix de Vitaly Panfilov en Finn, qui offre une Ballade magnifiquement chantée (Acte II Scène 1), Valery Gilmanov est un Farlaf plutôt sourd et terne, l'acide Naïna d'Irina Dolchenko semble fatiguée, bien que la voix demeure ample, la Lioudmila irréprochable mais bien pâle de Ekaterina Morozova ne déplacerait pas les foules, tandis que le baryton-basse Taras Shtonda chante sans nuance, appuyant tout en force jusqu'à engorger de nombreux passages soudain disgracieux, malmenant la hauteur comme la couleur. Une très grande réussite dans cet enregistrement : le Ratmir du contralto Alexandra Durseneva ; la voix est large, le timbre chaudement coloré, la place et l'émission parfaitement gérées, le chant toujours bien mené. À la décharge des artistes, n'oublions pas qu'il s'agit d'un enregistrement live, et que si loisir nous était donné de revenir plusieurs fois sur les interprétations que nous entendons en salle, peut-être serions-nous surpris…

BB