Chroniques

par bertrand bolognesi

Nicolas Cavaillès
Les huit enfants Schumann

Les Éditions du Sonneur (2016) 72 pages
ISBN 978-2-916136-97-4
Nicolas Cavaillès nous invite au sein de la fratrie Schumann

Il ne s’agit évidemment pas d’une biographie du compositeur, pas plus que de ses enfants. Bien plutôt Nicolas Cavaillès interroge-t-il leur destin, mais aussi ce que pourrait être l’enfance, choisissant pour meilleur laboratoire la famille Schumann, l’impact d’un père génial autant que tourmenté dans l’époque dite romantique, interné après une tentative de noyade, puis mort chez les fous, celui d’une mère grande pianiste internationale au caractère souvent dur dont les principes moraux quasiment sans appels laissent songeur.

Ce récit peu bavard évoque sans insistance Schumann créateur, écho lointain de ce qui jamais ne saurait être perçu pleinement, de toute façon, et se penche sur les petits d’un maître fébrile qu’on voit s’éteindre dès le premier chapitre où déjà paraît celui qu’il désignera lui-même comme le réalisateur de son projet artistique, Brahms, son cadet de plus de vingt ans. De fait, le jeune homme s’attacherait durablement à la famille, toujours proche de Clara veuve et des orphelins – « fils œdipien de leur père », « amoureux transi de leur sœur », « amant platonique de leur mère », « vieil oncle fidèle », « parrain attentionné », « prince charmant et deuxième père », dit-on.

Ce n’est pas tant la naissance qui guide la plume mais la mort.
La trame s’organise au fil des décès de chaque enfant. Émile, seize mois de souffrance, « énigme de malheur pour ses parents comme pour ses sœurs » ; Julie l’inquiète, jeunesse perdue de sanatorium en sanatorium, finalement comtesse en Piémont, vaincue par la tuberculose dans sa vingt-huitième année ; Félix, également tuberculeux, le dernier fils qui jamais n’aperçut son père et rendit son dernier souffle à vingt-quatre ans sans avoir pu développer des talents de poète sèchement brimés par Clara Schumann.

Certains moururent moins jeunes, comme le solide Ferdinand dont l’existence paraît stable, bien que perçue comme excentrique par la même Clara qui refuse d’accueillir une bru d’une confession différente de la sienne ; des douleurs articulatoires l’envahissent dès la trentaine, entraînant une dépendance funeste au sulfonal qui n’empêche pas la mort, à quarante-deux ans. Ou comme le « magnifique » Ludwig, « gros poupon, le beau et vigoureux garçon tant attendu », « bien nourri, bien portant » trop vite abandonné à sa myopie par Clara qui le déclare irrémédiablement fou – il vivra près de trois décennies à l’asile de Colditz, perdu pour toujours.

Entre ces deux disparitions, celle de la mère n’est pas des moindres.
On suit le trajet plus calme d’Élise, elle aussi contrariée dans ses projets par la castratrice Clara, puis ceux de Marie et Eugénie, la première (la préférée de Robert Schumann) toute dévouée à la pianiste Clara dont elle est la femme de chambre et la secrétaire, la seconde à la mémoire du grand homme et à la légende familiale. La sobriété de recours littéraire maintient ce livre dans un port très personnel qu’il faut saluer.

BB